• MANIFESTE POUR UN THÉÂTRE SADIEN AU XXIÈME SIÈCLE

    SADE-CHARENTON LES LARMES DE SANG

    TURIN AVRIL 2000

    Virginie Di Ricci - Jean-Marc Musial

     

     

    Paru dans le Cahier Sade n°1 

     

     

    DÉBARRASSER LA SCÈNE DE LA CAUSE PREMIÈRE.

    PROUVER QUE L'ATTITUDE D'UN THÉÂTRE DE RECHERCHE CONSISTE À MISER SUR LA FUITE DU TEMPS ET L'ÉCLATEMENT, CONTRAIREMENT AUX PROCÉDÉS ESTHÉTIQUES QUI TENDAIENT À LA FIXITÉ DE L'ÉMOTION.

    « Vous ne croyez donc point en Dieu ? »

    LE DÉFI ARTISTIQUE ET POLITIQUE, AU PASSAGE DES ÉMOTIONS ET DU TEMPS, SERAIT DE GAGNER DAVANTAGE ENCORE SUR LE CHANGEMENT, EN ALLANT TOUJOURS PLUS LOIN AVEC SADE DANS LE JEU ET LA MULTIPLICATION DES SITUATIONS ÉMOUVANTES.

    RASSEMBLER UN IMPLEXE  COMPOSÉ DE 68 FRAGMENTS SAISIS DANS L'OEUVRE SADIENNE ET DE QUELQUES DOCUMENTS SITUATIONNISTES.

    ATTACHER LA PHILOSOPHIE DU MARQUIS À L'ART GROTTESQUE : LA SIGNATURE DE SADE, LAISSÉE DANS LA DOMUS AUREA DE NÉRON, ENFOUIE, À L'ÉTAT DE GROTTE, SE FLATTE DE DISPARAÎTRE DE LA MÉMOIRE DES HOMMES.

     

    RÉALISER L'INDICATEUR DES CHEMINS DE DÉRIVE À PARTIR DE L'ADAGE DE L'HISTORIEN TACITE «LES PROSPÉRITÉS DU VICE ET LES MALHEURS DE LA VERTU » ET LE DESSIN DE L'I.S.

    C'EST EN EXASPÉRANT LA RÉALITE DU TEMPS RÉEL AVEC TOUS LES MOYENS QUE NOUS PERMETTENT LES ACTEURS, LEURS ESPRITS ANIMAUX ET LEURS TECHNOLOGIES  QUE NOUS RÉDUIRONS L' ÉCART ENTRE L'IRREPRÉSENTABLE ET SA RÉALISATION CONCRÈTE.

    CAR IL FAUDRA BIEN ADMETTRE QUE LE THÉÂTRE DU FUTUR SE DÉBARRASSERA DE TOUTES LES RAISONS SOCIALES ET PSYCHOLOGIQUES POUR FAIRE APPARAÎTRE DANS UNE RÉALITE MÉLANGÉE UNE MULTITUDE D' ESPACES NOUVEAUX, DIFFRACTÉS, AUGMENTÉS, VIRTUELS : UNE MACHINATION POSSIBLE POUR UN ESPACE SCÉNOGRAPHIQUE TOTAL.

    DANS LE STUDIO DE CINÉMA DE GIOVANNI PASTRONE À TURIN, CONSTRUIRE UNE GRANDE SCÈNE CENTRALE EN GUISE D’ECHAFAUD ET SES QUATRE SCÈNES-SATELLITES DISPOSÉES AUX QUATRE POINTS CARDINAUX, FERMÉES PAR QUATRE ÉCRANS QUE CROISENT QUATRE GRANDS MIROIRS, SUR LE MODÈLE DE LA MAISON DES ARTS QUE SADE, À 23 ANS, COMMANDE À UN ARCHITECTE.

    Dès que le désir n'est que l'effet de l'irritation causée par le choc des atomes de la beauté sur les esprits animaux*, que la vibration de ceux-ci ne peut naître que de la force ou de la multitude de ces chocs, n'est-il pas clair que plus vous multiplierez la cause de ces chocs, et plus l'irritation sera violente.

    *On appelle esprits animaux, ce fluide électrique qui circule dans les cavités de nos nerfs ; il n’est aucune de nos sensations qui ne naisse de l’ébranlement causé à ce fluide ; il est le sujet de la douleur et du plaisir ; c’est, en un mot, la seule âme admise par les philosophes modernes. Lucrèce eût bien mieux raisonné, s’il eût connu ce fluide, lui dont tous les principes tournaient autour de cette vérité sans venir à bout de la saisir.     Aline et Valcour

    SATURER LA REPRÉSENTATION. L'EXCÉDER.

    PROCÉDER PAR CUTS, PAR SOUSTRACTIONS, PAR ACCUMULATIONS, PAR ALIÉNATION ET SURTOUT NON-HIÉRARCHISATION DES ÉLÉMENTS SCÉNIQUES.

    LE NON-RÉCIT EST LA CONDITION PREMIÈRE DE L'ÉCLATEMENT.

    PAR L'ATOMISATION DE FRAGMENTS DE TEXTES, CRÉATION D' ESPACES D'IDÉES QUI SE CONTREDISENT OU S'ENTRECHOQUENT POUR UN ESPACE POÉTIQUE MAJEUR.

    DÉVOILER LA DRAMATURGIE.

    ÔDE À PRIAPE 

    1-Justine (face à sa propre image en boucle) : La Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu.                                                                                                « Sous quelle étoile fatale faut-il que je sois née ? »

    2-Juliette : Introduction aux 120 journées de Sodome.                                   « C'est maintenant ami lecteur qu'il faut disposer ton cœur et ton esprit au récit le plus impur qui n’ait jamais été fait depuis que le monde existe,… ».

    3- Portrait de Mme Clairwil, Prospérités du vice, P. 88-89.

    4- L'abbé Chabert : Prospérités du vice, P.95.                                                                               « Chanson pour Lucifer .»                                                                                                                              « Pour moi qui nargues ton audace                                                                         Que dans un cul je foutinasse.»

     

    5- Florbelle : Contexte des 120 journées de Sodome, P. 19.

    6- Tous : Prospérités du vice, P. 116.                                                                                                       « Les charmes indicibles de la lubricité.»

    7- Inspecteur Marais : Prospérités du vice, P. 363, 364.                                                    « Description d'un banquet et de ses cuves d'argent.»

     

    ANACHROUSE                                                                                         (62 phrases aléatoires)

    8- 30 phrases des Prospérités du vice.

    9- 2ème journée des 120 journées de Sodome.

    10-4ème et 5ème journées.

    11- 9ème journée.

    12- 10ème journée.

    13- 19ème journée.

    14- 23ème journée.

    15- Dernière réplique des Prospérités du vice.

     

              

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

     

    LE COEUR DU BANQUET 

    16- Inspecteur Marais : 22ème journée des 120 journées Sodome, P. 290-291. « Bacchanales nocturnes. »

    17- Tous : dialogue de Saint-Fond, Les prospérités du vice, P. 46-49.   « Vous n'aimez pas les hommes, n'est-ce pas mon Prince ? - Je les abhorre.»

    18- Clairwil/Florbelle : Les Prospérités du vice P.293.

    19-Justine : narration, 120 journées de Sodome, P.419.                                  « Le meurtre n'est qu'accessoire. »

    20-Clairwil: Les Prospérités du vice, P.36.                                                  « Commerce des poisons ».

    21- Clairwil/Juliette : dialogue. Les Prospérités du vice, P.349-350. Juliette : « Folle, où veux-tu en venir , en un mot ? »                                     Clairwil : « À nous débarrasser de ce bougre-là. »                                                 Juliette : « Songes-tu qu'il s'est battu pour nous ? »                                     Clairwil : « Raison de plus pour que je le déteste ; car son action devient une preuve de sa bêtise. »

    22- L’abbé Chabert/Justine : 120 journées de Sodome, P.394.

    23- Inspecteur Marais : Fragment des 120 Journées de Sodome, P. 436.

     

    LA PASSION DES FOUS 

    24-L’abbé Chabert/Justine/Juliette/Clairwil : Les prospérités du vice, P.380. « Tout le paradis est dans cet enfer.»

    25- Florbelle : Les prospérités du vice, P.286-287.                              « Qu'appelles-tu pitié ? »

    26- Inspecteur Marais : Aline et Valcour, P.234.                                                  « Les habitants du royaume de Butua.»

    27- Justine:Les prospérités du vice, P. 9-10 et P. 376-377.                             « La pudeur est une chimère. »

    28- Juliette : Les prospérités du vice, P.18-19 et P. 321.                            « Galerie du Grand Duc » et « Sépulcre des pestiférés »

     

     

     

     

     

    29- L’abbé Chabert : Les prospérités du vice, 4ème partie.                                             « Le sonnet de Des Barreaux. »

    30- Clairwil : Les prospérités du vice, P. 66.                                                     « Propos d'Olympe ».

    31- Clairwil : Les 120 journées de Sodome, P.309.                                       « Aurore ».

     

    LE MARCHÉ AUX ESCLAVES

    32- Inspecteur Marais : Les prospérités du vice, P. 290-292                              « Il faut contraindre les hommes à rougir d'être de la même espèce que nous. »

    33- Justine/Juliette/Clairwil : Aline et Valcour. Les prospérités du vice,      P. 357-358 ; P. 433-434 ; P.93-95 ; P. 76-77.                                  Scène des trois femmes savantes d'Avignon :                                                                                                 Justine : « J'aime mieux être faible et vertueuse que téméraire et corrompue. »                                                                                                            Juliette : « Nous ne commençons que pour finir. »                                      Clairwil : « La sensibilité, ma chère, est le foyer de tous les vices comme elle est celui de toutes les vertus. »

    34- Florbelle : Les prospérités du vice, P.170-173.                                     « Principe de vie et de mort : celui qui revolver.»

    35- L'abbé Chabert : Les prospérités du vice, P. 59-63.                                       « Le parricide. » ; « Les animaux connaissent-ils leur père ? »

    36- Juliette : Les prospérités du vice, P84-85.                                           « Introduction à Pie VI ».

     

    PIE VI 

    37-L'abbé Chabert : Les prospérités du vice.                                                         « On nous annonce qu'un dieu s'est révélé. Qu'a-t'il appris aux hommes ? »

    38- Juliette / Pie VI: Les prospérités du vice.                                                    Dialogue sur « Les lois de la nature. »

    39- Juliette : Les prospérités du vice.                                                                        « Liste des papes ».

    40- Inspecteur Marais : Les prospérités du vice.                                                  « Liste des papes ».

    41- Juliette, Les prospérités du vice.                                                                    Réplique à Pie VI : « Où diable vas-tu chercher la vertu, quand tu ne me fais venir ici que pour te souiller de vices. »

    42 – L'abbé Chabert : Les prospérités du vice, P. 181-182.                         Parole de dieu : « Cesse d'engendrer, détruis tout ce qui existe. Que tu détruises ou que tu crées tout est à peu près égal à mes yeux.»

    43- L'abbé Chabert : « La passionne del Veneziano ».

    44- Clairwil : Aline et Valcour, P.199.                                                                   Ambition et cupidité  ; « Or, tu vois que de pareilles discussions prendraient trop sur le temps de ton sommeil. »

    45- Inspecteur Marais : Les prospérités du vice, P. 244-249.                                 « Il est bien faux de dire que l'argent acquis par un crime ne porte pas bonheur. »

    46- Justine : Les prospérités du vice, P. 177-178.                                  « Substance première » 

    47-Florbelle : Aline et Valcour, P.227-228.                                                       « Quand il n'y aurait pas un seul homme sur la terre, tout n'en irait pas moins comme il va. »

    48- Tous : Les prospérités du vice, P. 199.                                                        « Partons, il est tard. »

     

    BALANCE RÉPUBLICAINE 

    49- Justine : Les 120 journées de Sodome.                                                         « Vous me placerez vous-même dans cette bière après m'avoir enseveli et vous m'y clouerez. »

    50- Inspecteur Marais : Aline et Valcour, P.236-237.                                            « Un homme mort n'est plus bon à rien. »

    51- Justine : Aline et Valcour, P.213.                                                                          « Ni principe , ni délicatesse .»

    52 – Florbelle : Les prospérités du vice, P148-149.                                       « J'oserais dire dans mon ivresse métaphysique, que ce n'est point le corps que je veux mais le cœur.. »

    53- Juliette : Les prospérités du vice, P. 289.

    54- Clairwil : Les 120 journées de Sodome.                                                     « Combien de fois, sacredieu, n'ai-je pas désiré qu'on pût attaquer le soleil, en priver l'univers ou s'en servir pour embraser le monde. »

    55- Inspecteur Marais – Les 120 journées de Sodome, P. 333.

    56- Florbelle : Lettre de Sade à Paré, ministre de l'intérieur, le 26 novembre 1793.

                                                                                                                         

    57- Clairwil : Les prospérités du vice, P.174-175.                                             « C'est l'orgueil qui nous empêche de voir le néant et sentir notre petitesse.»

    58- Juliette : Les prospérités du vice, P. 174-175.

    59- L'abbé Chabert : Aline et Valcour, P192.

     

     

     

     

     

     

     

    60- Clairwil : Aline et Valcour, P.208-209.                                                                « Tu chercheras mes yeux, ton choix y sera toujours peint.»

    61-Florbelle : Aline et Valcour, P.230.                                                                        « La politique qui apprend à tromper ses semblables en évitant de l'être soi-même, cette science née de la fausseté et de l'ambition, dont l'homme d’État fait une vertu, l'homme social un devoir, et l'honnête homme un vice.. »

    62- Inspecteur Marais : Aline et Valcour, P.284-285.                                              « Je n'ai qu'un ennemi à craindre, c'est l'européen inconstant, vagabond, renonçant à ses jouissances pour aller troubler celles des autres... ».

     

    POLYPHONIE POUR UN MASSACRE 

    63- Clairwil : Les 120 journées, P. 435.                                                                   « Mort de Narcisse.»

    64- Juliette : Les prospérités du vice, P.179.                                                             La mort de Justine . « On eût dit que la nature, ennuyée de ses ouvrages, fût prête à confondre tous les éléments, pour les contraindre à des formes nouvelles. »

    «La foudre qui était entrée par le sein droit, avait brûlé la poitrine et était ressortie par sa bouche en défigurant tellement son visage qu'elle faisait horreur à voir.», Les infortunes de la vertu, 1787.

    « La foudre était entrée par le sein droit. Après avoir consumé sa poitrine, son visage, elle était ressortie par le milieu du ventre.»,  Justine ou les malheurs de la vertu, 1791.

    « La foudre entrée par la bouche, était sortie par le vagin. D'affreuses plaisanteries sont faites sur les deux routes parcourues par le feu du ciel. », La nouvelle Justine, 1797.

    65- L'abbé Chabert : Les 120 journées de Sodome, P.439.                                       « On lui crève un œil et on lui donne cent coups de nerf de bœuf sur le dos.. »

    66- Justine : Les 120 journées de Sodome, P.435.                                      « Narcisse est présenté aux supplices ; on lui coupe un poignet. »

     

     

     

     

    PASSION 148 DITE L'ENFER

    67- Florbelle/Chabert/ Juliette / Justine : Les prospérités du vice.                 «Statuts de  La société des amis du crime. » ; « Nous mourrons plutôt que de nous trahir.»

    68- Juliette : Les 120 journées de Sodome.                                                          Toute « La passion 148 » (la dernière.)                                                                          « ET TOUT EST DIT POUR LA QUINZAINE.»

     

     

    CONTRACTER LE TEMPS PAR LA SIMULTANÉITÉ ; LIEU POSSIBLE DE PLUSIEURS PARTITIONS SOLITAIRES D'ACTEURS.

    DÉMULTIPLIER LE POINT DE VUE ET LES CHAMBRES OBSCURES.

    UTILISATION ABUSIVE DU CADRE, DES CAMÉRAS ET DE LEURS OPTIQUES.

    LE COUPLE FATIDIQUE ACTEUR-CADREUR HEURTE LA LECTURE FRONTALE, CRÉE UNE DIVERSION.

     

     

    L'ACTION PHYSIQUE COMME LANGAGE PREMIER DU THÉÂTRE.

    L'ÉVÈNEMENT PUR : QUI QUALIFIE L'ESSENCE EXACTE DE L'ACTION PHYSIQUE.

    LE DÉSENGAGEMENT DE L'ACTEUR : QUI PERMET LE PASSAGE ENTRE DEUX ACTIONS PHYSIQUES.

    L'INTERCHANGEABILITÉ DES ACTEURS : DÉPLACEMENT SUBIT D'IDENTITÉ À IDENTITÉ.

    CRÉER UN RYTHME ET Y INSUFLER UNE CADENCE, UNE DÉCADENCE.

    LA LUMIÈRE MOBILE EST À L'ACTEUR CE QUE LA CAMÉRA EST AU CADREUR : IL FOCALISE AVEC SON FAISCEAU ET CE DANS L'OBSCURITÉ LA PLUS TOTALE.

     

    RETRANSMISSION EN DIRECT ET RÉALISATION DIVERGÉE.

    RETRANSMISSION EN DIFFÉRÉ. TEMPS PRÉ-ENREGISTRÉ QUI AGIT COMME UNE MÉMOIRE PERMANENTE DE LA TRACE.

    OPÉRER DES PLANS DE COUPE, DÉVOILER DES ANGLES IMPOSSIBLES POUR LE REGARDEUR. LA CAMÉRA DOIT FILMER LÀ OÙ LE REGARD NE PEUT ALLER : IMAGES COELIOSCOPIQUES.

    LA VITESSE ET LE RALENTI COMME OPPOSITION AU MOUVEMENT NATUREL DE L'ACTEUR.

    LA SURIMPRESSION EN DIRECT : ACCUMULER PLUSIEURS CADRES DE PLUSIEURS SCÈNES ET LES SUPERPOSER EN UNE CONCENTRATION DE PLANS.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    SUPPLICIER LA VOIX : FAIRE SUBIR À LA LANGUE SADIENNE CE QUE LES SCÉLERATS LES PLUS INFÂMES QUE LA TERRE AIT PORTÉS, FONT SUBIR AUX CORPS OU CHANTER LES DISSONANCES TOUT EN PROFÉRANT LES ABERRATIONS.

    ÉCLATER LES PERSPECTIVES HUMAINES, SONORES ET VISUELLES.

    AU SON DU BOLSHOÏ D’ALFRED SCHNITTKE, DES INFRABASSES DE PAN SONIC ET L’ OUVERTURE VRILLÉE DE TRISTAN ET ISEULT DE WAGNER,

    DÉRÉGLER LA PERCEPTION.

    BANNIR LE SILENCE ET PRÉSERVER LE SECRET.

     

    UN THÉÂTRE MENTAL

     

    QUI SE RECOMPOSE PERPÉTUELLEMENT SOUS FORME DE CELLULES AUTONOMES ET DE SÉQUENCES SANS CAUSALITÉ

     

    UN THÉÂTRE QUI N'ARRÊTE PAS LE GESTE DE L'ÉMOTION.

    QUI NE SE CENSURE PAS.

    QUI SE VIT DEBOUT ET PARTOUT

    QUI BLASPHÈME À INTERVALLE RÉGULIER.

     

    UN OPÉRA ÉPARPILLÉ, UN OPÉRA À EXPLOSIONS ET IMPLOSIONS,

    QU'IL DIVISE, QUE CETTE SATURATION EXCESSIVE SÉPARE, QU'IL SE

    RÉPANDE EN UNE EXPLOSION INTERNE DES CONSCIENCES.

     

    L'INFINIE DÉLICATESSE DU MARQUIS DE SADE.

     

     

    « Il faut faire sa cour pour réussir et je n’aime  pas à la faire » D.A.F SADE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Dans un monde où on mange chaque jour du vagin cuit à la sauce verte.

    Virginie Di Ricci & JM Musial

    pour le Journal du Festival Nous n'irons pas à Avignon. 

     

    Écrit et proféré avec la fureur d'un volcan en éruption après la visite de l'exposition van Gogh (1947) et la lecture d'articles enfermant le peintre dans sa folie, ce brûlot signé Antonin Artaud, tout juste sorti de l'asile de Rodez où il fut interné de force et traité à l'électrochoc pendant neuf ans, démasque les Docteurs Ferdière et Gachet, ranime la violence primordiale des tableaux de van Gogh, là où la psychiatrie à l’instar du musée est accusée par la poésie/souffle d'Artaud de sorcellerie et d’émasculation.


    Il y a toujours eu en Artaud un critique d’art, au sens de Baudelaire, un passionné de peinture qui parcourt dès 1920 les Salons, rédige des articles et pratique lui-même très jeune le dessin et la peinture. C’est aussi le décor et le costume qui le portent au dessin lors de ses années d’expériences théâtrales auprès de plusieurs metteurs en scène, Lugné Poe, Pitoëff, Dullin notamment. Très proche du peintre Balthus, qui a réalisé le décor de sa mise en scène Les Cenci, il partage son goût des primitifs italiens et voit dans le tableau foudroyant « les Filles de Loth » de Lucas von Leyden « tout ce que le théâtre devrait être».

    La peinture comme la poésie doit frapper l’œil et l’oreille. Il dit de van Gogh d’ailleurs qu’il est un organiste des tempêtes arrêtées.  Il retrouve  l'art du dessin pendant son internement forcé à Rodez et intensifie sa présence au cœur de ses 406 cahiers  d’écolier,  mais aussi en réalisant de grands dessins qu’il exposera dans la galerie Pierre Loeb. C’est  ce dernier qui invite Antonin Artaud à visiter l’exposition van Gogh au Musée de l’orangerie en janvier 1947. « Non, van Gogh n’était pas fou, mais ses peintures étaient des feux grégeois, des bombes atomiques…. ».  Il reconnaît en Vincent  un double de cœur et  face à la puissance  et l’acharnement du peintre à refaire la création,  il répond par un pamphlet poétique majeur et désormais incontournable.

    Théâtre et peinture ont une histoire commune : oscillation  entre présence et absence de l’acteur, entre figuration et abstraction. Pour nous le théâtre est entre les arts, il est un langage écarté qui convoque tous les arts sur la scène ; ici dans notre mise en scène du suicidé de la société d’Antonin Artaud, la peinture figurative de van Gogh, de Bruegel le vieux et de Jérôme Bosh mais aussi  Poème électronique et Ionisation du compositeur Edgar Varèse côtoient  les lois scéniques de l’abstraction. (Schlemmer,  Meyerhold, Tadeusz Kantor…. )

    Nos créations ont toujours entretenu une relation à l’image, d’abord cinématographique puis vidéo et 3D : «Straszny ! théâtre –cinématographe» était une œuvre-manifeste jouée et projetée à 360° ; «Sade/Charenton, les larmes de sang » proposait une multiplicité de points de vue  par la retransmission en direct ;   « Calderon, la représentation de la représentation » de Pier Paolo Pasolini contenait un film 16mm couleur et une accumulation de cadres/écrans vidéo dans un rapport frontal ; « Roma Amor, le pouvoir ne se partage pas » s’approchait d’une fantasmagorie par la réalisation de décors antiques romains en images de synthèse projetés en transparence et cascades de plans, vers une scène virtuelle.

    Avec "van Gogh le suicidé de la société" d'Antonin Artaud nous retrouvons un théâtre pauvre et ce sont essentiellement les images fragmentées des peintures de van Gogh qui sont projetées dans l’espace noir du théâtre. La poésie d’Antonin Artaud les anime,  interroge les énigmes de leur lumière et leur douleur étranglée. C’est le deuil révolté d’Artaud qui forme le hors-cadre des peintures de van Gogh.  Artaud voulait voir les tableaux de van Gogh ailleurs que sur les murs d’une exposition « où l’objet est  émasculé ». Le théâtre leur rend leur inactuelle vitalité révolutionnaire.

    Nous voulons restituer à ce chef-d’œuvre la plus grande clarté et intelligibilité sur la scène, pour que résonne sa cruauté. Virginie Di Ricci, qui a le texte et l’œuvre d’Antonin Artaud chevillés au cœur, évolue en athlète affectif  dans une scénographie répondant aux lois de l’abstraction. Ce parti pris – cette ionisation - évite tout sentimentalisme ou tout débordement psychologique : « Le théâtre  ça se fait au grand couteau ».    

    Son œuvre inépuisable nous accompagne depuis nos débuts et toujours nous y revenons pour reprendre des forces et l’énergie nécessaire pour construire un parcours théâtral sans compromis.   L’importance de son apport à la mise en scène du XXème siècle  - il se situe vraiment  à la suite de Meyerhold, d’Appia, de Craig – a été occultée par l’approche hystérique de ses théories dans les années 70. Or, il n’est pas un aérolithe, il est au cœur des avant-gardes théâtrales de son temps, futuristes, constructivistes…et l’exemple absolu du renouvellement des formes et de l’expression. Il a été le premier à poser l’expression « réalité virtuelle » pour définir le théâtre par exemple. La réédition des Cenci préfacée par Michel Corvin  montre clairement la place d’Artaud dans l’histoire des avant-gardes théâtrales.

    Artaud a réaffirmé jusqu’au bout que la seule chose qui l’intéressait vraiment : « c’est le théâtre ».                                                               

                                                                                                      


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  • Tutuguri et Ciguri

    par Virginie Di Ricci

    TUTUGURI et CIGURI

     

     

    « Il y a en tout homme un spectateur et un acteur, celui qui parle et celui qui répond. » Gérard de Nerval

    « J’écris pour les analphabètes. » Antonin Artaud

     

     

          Je dois à Régis Hébraud, opérateur de prises de vue, monteur et passeur infatigable des films de Raymonde Carasco réalisés dans la Sierra Tarahumara entre 1976 et 2001, un choc dont l’onde ne finit plus de secouer ma conscience.

    « J’ai voulu voir ce pays, ce peuple d’Hommes rouges. Plus profondément, j’ai voulu voir l’écriture d’Artaud. Curiosité de cinéaste. D’enfant. Enfant en écriture. »1

    De la Sierra Tarahumara l’on ne revient pas, nous dit Régis Hébraud, alors que devant nous, après la projection, sa présence atteste du Double à l’œuvre. Tout dans ses paroles et ses gestes calibrés prouve que son corps a traversé l’écran et que la terre sacrée indienne nous a envoyé un de ses très rares et si précieux émissaires. À la question posée par un spectateur, Régis Hébraud répond qu’il ne peut pas retourner dans la Sierra sans son épouse, Raymonde Carasco.

    J’ai dit l’écran, sa médiocre dimension de mini salle à l’abandon où grelottent quelques existences étudiantes et poètes, cette nuit-là, mais il n’y a pas d’écran dans le cinéma de Raymonde Carasco et de Régis Hébraud.

    L’œil est à nu, dépecé de ses paupières externes et internes, préparé à boire tout le Bleu du ciel Tarahumara tel un dictame, après le rite d’exsanguination d’un taureau, où toute la philosophie des Tarahumaras s’observe dans des gestes cruels d’une délicatesse infinie. Ses poumons et son cœur iront à Ciguri.

     

    « Les danseurs de matachines se rassemblèrent devant le taureau et lorsque celui-ci fut bien mort, ils attaquèrent leurs danses de fleurs. »2

    Dans ce rite sans viande, en lequel Artaud a reconnu celui des Rois de l’Atlantide, L’horrible révélation, la seule3, la peau entière est séparée de la fine membrane veinée, laiteuse, enveloppant les organes gonflés, violacés de l’animal tandis que le sang, jailli de la carotide, se recueille à même son bouillon dans une vasque de bois sans qu’aucune goutte ne tombe. Silencieux, docile, comme à l’écoute du son de la râpe qui l’accompagne dans la spirale d’agonie, l’animal ne beugle pas, et les cinéastes, dans Ciguri 96, nous le montrent nous regardant à l’envers, puis fixent la forme de son esprit dans un gros plan noir et blanc totémique, envoûtant. Non, il n’est pas mort le secret perdu dans Atlantis,  « Que ceux qui ne me croient pas aillent dans la Sierra Tarahumara. »

    L’énormité du fait Tarahumara dans la vie et l’œuvre d’Antonin Artaud, le fracas de l’après-coup radiophonique d’Un voyage au pays des Tarahumaras, non pas mythique mais bien réel qu’Artaud fit en 1936, me sont apparus si actuels dans leur inactualité, que la relecture des textes mexicains et Tarahumaras d’Antonin Artaud à la lumière des films et des écrits de Raymonde Carasco, philosophe, écrivain et cinéaste qui voulait voir l’écriture d’Artaud, s’en est trouvée complètement dégagée de sa poussière de mythe.

    De ce mythe, dont Artaud n’aura pas manqué sentir qu’il pourra lui aussi, Antonin Artaud, l’absorber dans son flou, entre rêve, folie et réalité, le noyer dans cet inoffensif réservoir d’oubli, quand c’est la réalité nue et vraie translatée sur le plan foudre qu’il faudra alors lancer dans les ondes avec ou sans machines Pour en finir avec le jugement de Dieu.

     

    C’est ainsi que les premiers textes Tarahumaras qu’Artaud écrit et publie dans la presse au Mexique en 1936 – La montagne des signes, Une Race-Principe, Le rite des Rois de l’Atlantide, Le Pays des Rois-mages – empreints d’échos de la poésie du Grand-jeu, de celle de Roger-Gilbert Lecomte particulièrement, figure prophète de cette « jeunesse française dont les aspirations ne sont pas une chose dont on puisse parler dans les livres, ou dans les journaux, comme on décrit une maladie bizarre, une curieuse épidémie qui n’a rien à voir avec la vie »4 – gardent une atmosphère mythique de fond des âges mais constitueront le trésor de rushes dans lequel Artaud taillera douze ans plus tard, au sortir de son propre anéantissement dans les asiles français, ses deux derniers poèmes de foudre, Tutuguri le rite du soleil noir (Octobre 1947) et Tutuguri (16 février 1948), en un double sursaut de morsure tétanique et sans mystique.

    C’est que toute l’histoire de l’écriture de l’Expérience Tarahumaras, comme la désigne Raymonde Carasco, s’apparente elle-même à un rite d’anéantissement, long de douze années torturantes, douze comme les heures de la nuit rituelle entre soleil qui descend et soleil qui monte pour tomber dans le ciel, qui s’achève en février 1948 par la sortie surhumaine d’un nouveau soleil, un poème des ténèbres duquel surgit un hiéroglyphe en sang, brandissant ce fer à cheval, cette malchance, cette mal-orientation pour le soleil, telle l’auto-extraction d’une pierre de folie, de tout un sang toxique et ferreux d’une haine de géhenne arrachée et isolée dans un grand U d’aimant brandi.

         En 1937, de retour à Paris, Artaud écrit La danse du Peyotl, que Paulhan publie avec La Montagne des signes sous le titre D’un Voyage au pays des Tarahumaras, qu’Artaud voulut signer de trois étoiles, par éthique et souci d’efficacité. Il n’est plus l’Artaud de La conquête du Mexique5, ce « Scénario théâtral », tragédie de la défaite de Moctezuma le Roi-astrologue face à Cortés, pour laquelle Artaud voulait, avant son départ au Mexique, donner (au sens démesuré d’Abel Gance) tous les moyens du cinéma au théâtre, à destination des masses.

    « …À part cela il y a un agacement sur les bords extérieurs de l’Histoire, un point où la légende et le réel se rencontrent, le naturel et le surnaturel, l’expliqué et l’inexpliqué. Agacement qui ne se traduit pas de la même manière pour les poètes et pour les savants. Et cet agacement rappelle Minos, Mycènes, Mitla, Copàn.»6                                                                                                  On pourrait ajouter à cette inédite et secrète liste : Norogachic.

    Après son voyage, il ne s’agira plus de sauver les hommes, mais de sauver les hommes qu’il faut7. Sauver les Tarahumaras et ceux, philosophes et poètes qui comme eux cultivent le sueño. Les sauver comme lui-même de la seconde mort8. Le film Artaud et les Tarahumaras de Raymonde Carasco débute par trois plans noir et blanc de visages d’hommes aux yeux tristes et brillants. Et dans le troisième homme, on croit voir Artaud. C’est troublant. N’est-il pas devenu l’un des leurs ? comme Régis Hébraud et Raymonde Carasco sans doute.

    La danse du Peyotl restitue les conditions plus qu’éprouvantes, dues à la dangereuse suppression, au supplice de l’emprise, à l’attente découronnée dans l’angle mort, dans lesquelles Artaud, après l’hallucination vraie d’un tableau de Jérôme Bosch, finit par accéder au rite du Ciguri. La composition picturale qu’Artaud voit se peindre elle-même au bout de cette terrible attente de 28 jours, dans la peau du blanc dont les Tarahumaras ont toutes les raisons de se méfier, sonne l’ouverture de la mise en scène du rite, tel un rideau dévoilant l’entrée en piste des danseurs coiffés de miroirs, des sorciers et de leurs desservants, en un fondu enchainé, un épanchement du rêve dans la réalité. 28 jours qui n’étaient pas stase dans la confusion mais prémices cruelles du rite qui s’ordonne pour lui selon les plus parfaites lois du Théâtre et son double. Artaud le filme par l’épiphyse9.

    « Contrairement à une idée enseignée dans les écoles, que le théâtre est issu des religions, nous chercherons à montrer, au moyen d’exemples, que c’est la religion qui est née des rites antiques et primitifs du théâtre. »10

    28 jours. Quelle fulgurance ! Quand on comprend grâce aux films de Raymonde Carasco et de Régis Hébraud11 la complexité, le culte du secret et du mystère qui entourent et protègent ces rites, et que ce sont bien des chemins, des chemins physiques qu’il faut trouver et retrouver, parcourir à travers l’immense Sierra, pour ouvrir l’impossible, l’invisible.

    Cette vitesse, ces maigres semaines pour gagner sa confiance, cueillir ses paroles d’une antériorité inouïe et saisir en un plein vol au ras des pierres l’Être Tarahumara, participe de l’aura mythique de ce voyage qui sera mis en doute par beaucoup, ainsi Le Clézio dans son « Artaud le rêve mexicain ». Or, c’est bien cette vitesse et cette capacité d’enregistrement d’homme sans caméra, machine à œil buté12, qui travaille la pensée de Raymonde Carasco établissant un parallèle puissant entre le plan barbare de Pasolini13 à travers sa Divine Mimesis14, le hiéroglyphe-cinéma d’Eisenstein15, et la translation sur le plan foudre d’Antonin Artaud.

     

    Artaud explique dans Le Rite du Peyotl (1943-1947), comment il a usé de diplomatie auprès des métis, des missionnaires jésuites et des représentants du pouvoir mexicain en poste à Norogachic pour gagner la confiance des Tarahumaras en permettant que leurs fêtes et rites aient lieu malgré l’interdiction pesant sur eux. Et je ne peux m’empêcher de croire qu’Artaud exerça aussi son art politique de l’acteur pour prouver aux Tarahumaras l’authenticité de sa démarche, la pureté de sa nécessité et qu’il inventa même son art glossolalique parmi eux, en un potlach accélérateur qui ne regardait que lui et eux : « Mais d’où viennent les mots sinon d’une danse de la parole et le sens rationnel n’est venu qu’après, c’est un langage fait pour les masses essentiellement. »16

    Cette vitesse, nous la retrouvons au salon de l’Orangerie où la visite d’Artaud de l’exposition Van Gogh ressemble à s’y méprendre à une course pieds nus dans la sierra, appareillée d’un œil-principe et du théâtre de curation cruelle qui souffle le poème proféré/écrit dans la foulée, comme le volcan Popocatépetl propulse sa pierre blanche jusqu’au boulevard de la Madeleine un soir de 1946. Un soir de terreur, d’énième électrochoc sans doute, de « pratique psychiatrique super-nazie », pratiquée par un psychiatre, « admirateur de Jehan Rictus, des « poètes du patois », amateur de verreries, de cartes postales de la belle époque, de « roudoudou, et de feuilles de choux », comme nous le révèle avec humour et hargne, Isidore Isou17.

     

         Cependant, La danse du Peyotl n’avait pas suffi pour dire Ciguri. Elle laissait, entre un sommeil brutal et un réveil titubant, une césure, la place pour un changement de plan. Elle restait une description précise mais extérieure, encore plus belle, encore plus précise quand on a vu et entendu les rites du Tutuguri et du Ciguri filmés par Raymonde Carasco et Régis Hébraud. En tout cas, suffisamment évocatrice pour qu’il fut possible de réveiller sept années plus tard, par la musique âpre et lancinante de la râpe, par les bourdonnements des clochettes de corne ou d’argent (comme les portes du sommeil de l’Enéide de Virgile et de l’Aurélia de Nerval), par le cri de coyote du sorcier et les battements des tambours dans la nuit de la forêt, la trace de la brûlure, de « la combustion bientôt généralisée », la mémoire fantastique enfin, que les comas répétés et les souffrances endurées dans les asiles n’auront pu effacer.

    Et d’ailleurs la petite épée de Tolède dans son étui de cuir de rouge, offerte à Artaud par un sorcier vaudou à la Havane, où est-elle ? Et le manuscrit de 200 pages d’un Voyage au Mexique, où est-il ? Perdus sans doute, mais pas perdus pour tout le monde.

     

    « Après avoir craché je tombais de sommeil. Le danseur devant moi, ne cessait de passer et de repasser, tournant et criant par luxe, parce qu’il avait découvert que son cri me plaisait. « Lève-toi, homme, lève-toi », hurlait-il à chaque tour, de plus en plus inutile qu’il faisait. Réveillé et titubant, on me conduisit vers les croix, pour la guérison finale, où les sorciers font vibrer la râpe sur la tête même du patient. »18

    C’est en effet, sept ans plus tard, en 1943, quand Henri Parisot eût la salvatrice idée d’entrer en contact avec Artaud encore interné à Rodez, afin de rééditer D’un voyage au pays des Tarahumaras, que celui-ci replongea dans ses rushes et les augmenta du Rite du peyotl, le rite de guérison, cette fois vu de l’intérieur, et qui est aussi une révolte contre l’enfermement psychiatrique et le traitement super-nazi par électrochocs. Il y a du Warburg là-dedans -(et cela a été dit et détaillé19).

    Adressé d’abord au Docteur Ferdière, Le rite du Peyotl s’encombre pour lui, d’un "Supplément"20, d’un foutoir catholique aux limites grotesques, qu’Artaud abjectera avant même sa sortie de l’asile, dans une lettre à Henri Parisot21. Il l’aurait jeté au feu s’il lui avait été restitué comme il le demandait. Hélas, le Supplément circule toujours. Abolition de la croix.

    Le plan-séquence revisité à neuf, revécu, par lequel il passe pour rejoindre sa propre écriture après le tunnel de mort, et qu’il insère à son Voyage, entre sommeil brutal et réveil titubant, c’est une vision par le peyotl. « Sorti d’un état de vision pareille on ne peut plus confondre le mensonge avec la vérité. » Pour les décrire toutes, il aurait fallu, dit-il, un gros volume. Mais Artaud nous livre, il faut croire, l’essentielle.

    Il avait déjà croisé et reconnu dans la montagne des signes, le grand H fermé d’un cercle, le H du double de l’Homme, non pas né mais INNÉ, et au plus extrême de la vision par le peyotl, Artaud se souvient d’un alphabet pris dans une tempête, dans un vide fantastique – on pense ici à l’alphabet magique du Rêve et la vie de Nerval22 -, et qui s’éloigne à l’infini laissant échoué et sorti de sa rate, un hiéroglyphe vivant : une racine en forme de J avec à son sommet trois branches surmontées d’un E, triste et brillant comme un œil. L’esprit même de Ciguri.

    JE.

    Ecce Artaud.

    TUTUGURI et CIGURI

     

     

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    1 Raymonde Carasco, Dans le bleu du ciel. Au pays des Tarahumaras, Ed. François Bourin, 2014.

    2 Antonin Artaud, Le rite des Rois de l’Atlantide, Les Tarahumaras.

     3 Roger Gilbert-Lecomte, L’horrible révélation… la seule, Revue Grand Jeu n° 3, 1930 : « Est-il mort le secret perdu dans Atlantis ? »

    4 Antonin Artaud, Le théâtre et les dieux, Messages révolutionnaires.

     5 Antonin Artaud, La Conquête du Mexique, Oeuvres complètes, tome V.

    6 Antonin Artaud, La force du Mexique, NRF n° 354-355, 1982.

    7 Ibid.

     8 CF. Virginie Di Ricci, Je t’ai mis mon cœur dans ton corps pour que tu te souviennes de ce que tu as oublié», Cahier Artaud n°1.

    9 Roger-Gilbert Lecomte, Fragment de « Terreur sur terre » ou « La vision par l’épiphyse », Revue Grand-Jeu n°3, 1930 : « Le milieu social du poète le caractérise douloureusement par l’antinomie d’un esprit en tous points conforme à la mentalité primitive mais dont le sens de l’invisible (Sens dont l’organe est l’épiphyse ou glande pinéale qui fut et sera le troisième œil), est, hélas, héréditairement atrophié. »

    10 Antonin Artaud, Programme de la conférence Le théâtre et les dieux, donnée à Mexico en 1936.

    11 Raymonde Carasco et Régis Hébraud à l’œuvre, sous la direction de Nicole Brenez, Presse Universitaire de Provence, 2016.

    12 Antonin Artaud, La vieillesse précoce du cinéma, Cahiers jaunes, 1933.

    13 Raymonde Carasco, article La Mimesis barbare de Pasolini, 1980.

    14 Pier Paolo Pasolini, La divine Mimésis, Flammarion, 1980.

     15 Raymonde Carasco, Hors-cadre Eisenstein, Macula, 1979.

    16 Antonin Artaud, La force du Mexique, NRF n° 354-355, 1982.

     17 Isidore Isou, Antonin Artaud torturé par les psychiatres, Les presses du réel, Coll. Al Dante, 2020.

    18 Antonin Artaud, La danse du Peyotl, Les tarahumaras, L’arbalète 1955.

    19 Arno Bertina, Appartenir à l’illimité, Cahier Artaud n°2.

    20 Antonin Artaud, Supplément au voyage, L’Arbalète, 1955.

     21 Antonin Artaud, Lettre à Henri Parisot du 7 septembre 1945, L’Arbalète, 1955.

    22 Gérard de Nerval, Aurélia, le rêve et la vie : « La conviction que je m’étais formée de l’existence du monde extérieur coïncidait trop bien avec mes lectures pour que je doutasse désormais des révélations du passé. Les dogmes et les rites des diverses religions me paraissaient s’y rapporter de telle sorte, que chacune possédait une certaine portion de ces arcanes qui constituaient ses moyens d’expansion et de défense. Ces forces pouvaient s’affaiblir, s’amoindrir et disparaître, ce qui amenait l’envahissement de certaines races par d’autres, nulles ne pouvant être victorieuses ou vaincues que par l’Esprit. — Toutefois, me disais-je, il est sûr que ces sciences sont mélangées d’erreurs humaines. L’alphabet magique, l’hiéroglyphe mystérieux ne nous arrivent qu’incomplets et faussés soit par le temps, soit par ceux-là mêmes qui ont intérêt à notre ignorance ; retrouvons la lettre perdue ou le signe effacé, recomposons la gamme dissonante, et nous prendrons force dans le monde des esprits. »


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  • Je t’ai mis mon cœur dans ton corps

    pour que tu te souviennes de ce que tu as oublié.    

    Par Virginie Di Ricci

             Texte paru dans les Cahiers Artaud n°1 - 240 pages                                 www.editionslescahiers.fr

     

      

     

     «Cela veut dire que quand je joue mon cri a cessé de tourner sur lui-même, mais qu’il éveille son double de sources dans les murailles du souterrain. Et ce double est plus qu’un écho, il est le souvenir d’un langage dont le Théâtre a perdu le secret»[1].

     

    N’en déplaise aux tenants du miraculeux commencement grec, dans l’Egypte ancienne le théâtre existait. Il était joué devant les temples par des mimes/acteurs. Il se jouait dans la conception de la mort comme passage à son Ka. Le Ka c’est le double du moi – moi le mort. Il vit sur le plan magnétique. Il a un aspect transindividuel. Or il est mortel. Pour échapper à la seconde mort et entendre le Ka dire : «je suis vivant», les égyptiens opéraient la momification du cadavre et pratiquaient l’ouverture de la bouche de la momie. Passer à son ka nécessitait du moi qu’il se dégage de son ombre maléfique laquelle si elle était trop chargée pouvait l’entraîner dans les mondes souterrains. C’était le cas des criminels et pour d’autres raisons des suicidés. . .

     

    O vio loto o théthé[2]

    Dans la stratégie de guerre - une guerre sempiternelle - mise en oeuvre par Artaud, l’acteur vivant est une momie. Guerrier-Kha à la tête d’une poignée de momies, de quelques filles de cœur à naître, il connaît le secret de la peste venue d’Egypte, et nul besoin d’une prolifération de rats pour cela. Des milliers de milliers de morts d’êtres, massacrés par ses multiples machines de l’instant, jonchent ses 173 derniers cahiers. Mais ce n’est pas encore assez car les êtres sans corps authentiques pullulent dans toutes les strates du temps et de l’espace et font de l’homme moderne un possédé.

    Ya Koura Koura Koura gana Koura gana Koura raro3

     

    Non, l’Homme n’est pas un être de manque.

    Alors Jouez momies mes heurts de sarcophages hostiles ! Dansez la danse du poteau de fureur derrière le coeur !

    Ouvrez la bouche ! Pulsez mes cris de guerre sans langue sans glotte et sans luette ! Mon cœur – qui n’est pas moi - est dans mon poème. Soufflez-le ! Perforez le réel avec mes hiéroglyphes, mes veines ! Paroi après paroi virtualisez le théâtre de la cruauté !

    Les ennemis :

    La mort. Avant elle n’existait pas. Elle a été inventée par Seth-Satan-tout le monde, le criminel, le jaloux. L’au-delà. Il est ici. C’est du théâtre. C’est de la réalité. Virtuelle. Les initiés adeptes de la magie noire. Ce sont eux qui ont volé le théâtre de la mort, qui l’ont caché au fond des temples et des cavernes, l’ont maquillé en au-delà, en Livre des morts à vendre. Les êtres. Ils n’ont pas de corps authentique : résidus psychiques de la conscience unanime, idées, esprit, microbes, larves de la sanie bourgeoise, docteur L., dieu et ses chiens..

    Les armes :

    Le marteau. Ecce Homo. L’Humour-Destruction. Maîtriser sa propre ombre grimaçante tel le Momos du théâtre de séraphin, qui raille les dieux et plaît aux enfants. Certains d’entre eux se souviendront d’un certain Homme-machine. La magie. Elle elle existe. Le théâtre. Celui d’Edfou et d’Abydos qui soulève les tombeaux des Grands morts, qui déracine leurs ennemis occultes. Héliogabale, Nerval, Baudelaire, Nietzsche, Poe, Lautréamont, Van Gogh, sosies d’Antonin Artaud, suicidés de la société, il faut les arracher à l’ombre.

     

     

    1Antonin Artaud, Le théâtre de Séraphin, p228, Gallimard, 1964. Première publication, coll. L’air du temps,

    1948. 2 Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, p.54, Gallimard, 1990. Première publication, K

     

    éditeur, 1947. 3 Antonin Artaud, Cahiers d’Ivry vol.II, Cahier n°322, 11r°, p.1370, Gallimard 2011.

    .................................

     

     


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  • MANIFESTE
    DU THEÂTRE-CINÉMATOGRAPHE

    Par Jean-Marc MUSIAL et Virginie DI RICCI

    °MANIFESTE DU THEÂTRE-CINEMATOGRAPHE

    Photogramme film Straszny - Crédits Photo© JM Musial / Terribilità

     

    En trois années (1994/97), nous avons mis en place un travail de recherche et d'expérimentation spatiale : "STRASZNY ! - Théâtre-Cinématographe" ("Intolérable" en polonais).

    4 étapes publiques ont marqué cette création :

    STRASZNY ! 2ème sursaut -   Film projeté sur quatre écrans avec ensemble de musiciens derrière l'écran.

    STRASZNY !  3ème sursaut 1ème morsure - Théâtre 180° - La Malterie   Lille              

    STRASZNY ! Post-synchro en live - Eglise Ste Marie Madeleine    Lille

    STRASZNY ! Théâtre-cinématographe à 360° - Eglise Ste-Marie Madeleine Lille


    Aujourd'hui, avec un peu de recul, après la dernière étape de ce projet qui s'est clos en juillet 1997 à l'église Ste Marie-Madeleine à Lille, cela nous apparaît comme une quête d'identité artistique forte.
    Ce qui a été déterminant pour nous, c'est la rencontre avec le cinématographe.
    (Nous préférons ce terme à celui de cinéma car ici nous sommes au théâtre et la machine qui diffuse la lumière est aussi fondamentale dans le processus de création que l'image projetée ou l'acteur lui-même.)

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  •  

    Une  recherche  archéologique et théâtrale menée à Rome pendant 6 mois (Lauréats Villa Medicis hors les murs),  nous a inspiré  ROMA AMOR, théâtre "grottesque" où la pantomime, le masque et la virtualité de la scène répondent à une dramaturgie latine fragmentaire, axée sur l'adage du panégyriste Cornelius TACITE : «LE POUVOIR NE SE PARTAGE PAS. » ("INSOCIABILE REGNUM" - Annales, Livre XIII,17).

     MISE EN SCENE ET IMAGES  : JEAN-MARC MUSIAL

     

    TEXTE PARU EN CATALAN DANS LE CATALOGUE D'EXPOSITION "ROMA AMOR"  EDITION DU M.N.A.T

     

     

     

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  •  Le théâtre moderne est né d’une décadence.

    Par Jean-Marc Musial

    (Paru la Revue Ec/arts n°3 - 2002)

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     Photos : "Calderon la représentation de la représentation de P.P. Pasolini  

     

     Adolphe APPIA, théoricien, scénographe et metteur en scène d’opéra, digne successeur de Richard WAGNER tandis que Friedrich NIETZSCHE est foudroyé gravera l’origine du théâtre moderne dans la lumière noire de ses fusains.

     L’écriture théâtrale dite moderne – théâtre de bavardage selon Alberto MORAVIA dans le manifeste pour un nouveau théâtre de PASOLINI - génère des spectres, des fantômes. APPIA y répond par un déplacement du centre, de l’acteur vers la lumière en élaborant le langage de la cinétique scénique, repoussant ainsi les limites de l’irreprésentable.

     

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     

     Dans un de ses textes fulgurants d’anticipation, APPIA désigne la projection comme étant le trait d’union entre l’éclairage et le décor, véritable immatérialisation des corps et des matières.

      Car au théâtre il ne peut y avoir que des éléments de théâtre et toute matière, tout corps, toute machine sur une scène est théâtre, même le cinéma. Sa puissante image filmique dirait Joseph SVOBODA, (scénographe tchèque) doit être maîtrisée et domptée pour devenir un matériau scénique parmi les autres, sans hiérarchisation. La machine scénique reçoit quantité d’éléments disparates et les combine tout en les tenant à distance au profit de l’articulation et de la tension qui se crée entre eux. Le metteur en scène, les acteurs, les cadreurs, les régisseurs, les ingénieurs créent cette matière insolite qui passe de support en support dans un refus total d’asservissement à la forme et à l’éphémére.

     « Lorsque le théâtre sera un chef-d’œuvre de mécanisme, qu’il aura engendré sa technique particulière, il engendrera sans effort son art propre un art créateur » Edward Gordon CRAIG

     Il faut donc pousser à bout la machine théâtrale et y trouver son point d’exception à l’image du théâtregraphe en 1933 de BURIAN et KOURIL ou des propositions futuristes pour un théâtre optique et magnétique, et réfléchir aux nouvelles propositions dramaturgiques dont CALDERON de Pier Paolo PASOLINI fait partie. Reposer la question de la cinétique scénique en fonction du cadre et du hors-cadre bien qu’il puisse s’agir d’une refonte de la scène dite à l’italienne vers un espace à 360° - espace qui rappelons-le n’est pas par tradition antique celui du cirque mais celui du sacré et du rite.

       Heinrich VON KLEIST, dans son « Traité des marionnettes » a défini les règles du jeu. Il dit précisément préférer la marionnette à l’acteur. Plus tard Gordon Craig posera le terme de sur-marionnette qui sera repris par Tadeusz KANTOR.

     Pour nous l’image cinématographique (24 images/ seconde) ou numérique (25 images/secondes) de l’acteur projetée et démultipliée sur plusieurs écrans devient la sur-marionnette immatérielle mais vivante de l’acteur physiquement présent. Ce spectre lumineux est d’une efficacité redoutable puisqu’il ne dépend plus que de la machine projecteur. L’acteur peut une fois filmé dans un autre temps que celui où il joue, compter sur sa partition qui elle est fixée. Elle lui permet de se débarrasser de sa condition d’acteur, et lui ouvre de nouvelles perspectives : l’intervention, l’action physique, la performance, la double représentation.

     

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     

      Les outils technologiques sont des extensions possibles du corps de l’acteur qui lui permettent de préciser son art : voix amplifiée et paramétrée en 3D numérique, delays, caméra-acteur, retransmission en direct et en différé de son image, image à considérer à la fois comme masque mais surtout comme autant de démultiplications de son corps en temps réel. Le larsen vidéo, comme s’il y avait un au-delà du corps qui serait l’esprit et un au-delà de l’esprit qui serait le corps mais diffracté, procédé de saturation de caméra qui filme ce qu’elle retransmet en diffractant son signal.

     

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     La présence de cadreurs sur la scène affirme la convention théâtrale et concrétise la notion de représentation de la représentation propre à CALDERON.

        Car il faudra bien admettre que le théâtre du futur se débarrassera de toutes les raisons sociales et psychologiques pour faire apparaître un espace nouveau diffracté, anthropomorphique, antigravitationnel…

     La multi-projection, la spatialisation sonore, La non-hiérarchisation des éléments scéniques, la démultiplication des supports et des points de vues, l’éclatement de la perspective, la simultanéité, l’enregistrement, la visio-conférence, la retransmission en direct et par conséquent la double destination de l’œuvre d’art au théâtre, alimentent l’idée d’un théâtre émetteur et remettent en cause le rapport d’unité de temps de lieu et d’action.

     

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     

     Le théâtre est devenu une matrice à laquelle il faut se connecter. La mutation de l’analogique au numérique ouvre la voie palpitante d’un théâtre émetteur et direct : la télévision directe – le webcast /

     

                                                        

     

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

    Le théâtre moderne est né d'une décadence

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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