• °MANIFESTE DU THEÂTRE-CINEMATOGRAPHE

    MANIFESTE
    DU THEÂTRE-CINÉMATOGRAPHE

    Par Jean-Marc MUSIAL et Virginie DI RICCI

    °MANIFESTE DU THEÂTRE-CINEMATOGRAPHE

    Photogramme film Straszny - Crédits Photo© JM Musial / Terribilità

     

    En trois années (1994/97), nous avons mis en place un travail de recherche et d'expérimentation spatiale : "STRASZNY ! - Théâtre-Cinématographe" ("Intolérable" en polonais).

    4 étapes publiques ont marqué cette création :

    STRASZNY ! 2ème sursaut -   Film projeté sur quatre écrans avec ensemble de musiciens derrière l'écran.

    STRASZNY !  3ème sursaut 1ème morsure - Théâtre 180° - La Malterie   Lille              

    STRASZNY ! Post-synchro en live - Eglise Ste Marie Madeleine    Lille

    STRASZNY ! Théâtre-cinématographe à 360° - Eglise Ste-Marie Madeleine Lille


    Aujourd'hui, avec un peu de recul, après la dernière étape de ce projet qui s'est clos en juillet 1997 à l'église Ste Marie-Madeleine à Lille, cela nous apparaît comme une quête d'identité artistique forte.
    Ce qui a été déterminant pour nous, c'est la rencontre avec le cinématographe.
    (Nous préférons ce terme à celui de cinéma car ici nous sommes au théâtre et la machine qui diffuse la lumière est aussi fondamentale dans le processus de création que l'image projetée ou l'acteur lui-même.)

     Sur le champ théâtral, nous avons éprouvé quantités d'approches de jeux d'acteurs : le grotesque qui est une synthèse du réel ; le travail sur le corps par le processus de vie issu du théâtre Kabuki ; l'interprétation classique issue du langage ; la prise de parole qui nous a amené la non-intention etc...

        Mais au centre de ces pratiques, la question de l'acteur et sa représentation  est la question majeure. Nous avons démarré nos recherches sur le refus du jeu réaliste, et nous nous sommes inspirés du chemin débroussaillé par KANTOR, MEYERHOLD et GROTOWSKI.
    Nous avions conscience qu'il fallait se débarrasser de toutes les pistes qui mettaient le sentimentalisme, l'ego, le moi surdéveloppé de l'acteur en avant.
    Nous avons repris le thème du "réveil des morts" pour les acteurs et le carrefour des songes pour l'espace scénique.

     

    De plus, il s'est avéré qu'à partir d'un postulat très simple - le théâtre est une convention ; le public sait qu'il est au théâtre - le traitement réaliste ou même naturaliste n'était plus possible.
    En revanche, cette convention, exprimée de manière claire (par exemple avec la place qu'occupe Tadeusz KANTOR sur scène), nous permettait d'ouvrir l'espace scénique vers une dimension imaginative plus grande.
    En amenant par exemple des phénomènes parasitaires tels que la répétition du geste, l'accélération, l'arrêt, la vitesse, le ralenti, nous exprimions clairement que le théâtre est une convention.

        Pourquoi mentir ? Pourquoi faire croire par exemple que Macbeth sur scène est vraiment Macbeth, alors qu'il n'est qu'un acteur qui fige une interprétation de Macbeth.
    Pour libérer l'acteur du carcan de l'interprétation, la notion même de personnage était à remettre en cause.  


    Comme nous en étions à l'essentialité du geste, accompagné d'un regard critique sur ce que nous devions exécuter (ne serait-ce que par la prise en compte de la convention théâtrale), nous avons creusé la notion d'Existence Particulière propre à Stanislas Ignacy Witkiewicz plutôt que celle de personnage.
    Car cette idée implique un objet fini et que ce que nous cherchons est un sentiment infini, une liberté totale de mouvement et de pensée.
    A partir du moment où nous nous sommes débarrassés du vraisemblable, nous nous sommes dirigés vers une autre recherche : la crédibilité.

    Dans l'écriture même de STRASZNY !, nous avons surtout travaillé l'action physique, qui à elle seule exprime l'intention et le caractère de l'existence particulière.
    Ainsi, débarrassés de toute la contrainte de l'interprétation, nous avons rédigé à la manière de séquences cinématographiques une quantité d'Evénements Purs, afin d'éprouver toutes nos techniques de jeu. Loin de tous ces vieux codes d'interprétation unique, il était possible d'accumuler nos résultats sur le jeu de l'acteur, sans perturber la lecture de STRASZNY !. Car à même cette lecture, se trouvait la possibilité constante de la remise en cause dans un véritable souci d'INASSOUVISSEMENT.
    Paradoxalement, le jeu dit réaliste, a réintégré nos techniques d'approches théâtrales. Le jeu de l'acteur est devenu un outil offrant une palette considérable de nuances, d'intentions  et de registres appliqués à l'action physique.

    Ainsi "Straszny" a mis en place un phénomène de jeu que nous avons appelé "le désengagement", proche du mécanisme cinématographique. Il repose uniquement sur la technique et prend pied sur la persistance des impressions visuelles et émotionnelles par la faculté qu'a la rétine du spectateur de retenir l'image de l'acteur durant une fraction de seconde après sa disparition.
    Nos fondements, nos outils sont donc devenus indissociables de la forme.

    L'autre versant de notre démarche a été la question du lieu scénique, de sa définition et de son rôle.

        En effet, il fallait également réfléchir à la réception du jeu d'acteur par le public.
    Nous sommes partis alors d'un postulat simple : nous étions d'accord pour déterminer le fait que lorsqu'un acteur s'approche du spectateur, cela était déchirant.
        A cette préoccupation s'ajoutait la conviction qu'il fallait démultiplier le point de vue pour créer un lien privilégié et unique entre le spectateur et l'acte théâtral. Les lois picturales et les profonds changements de l'art contemporain (les minimalistes avec Morris, les expériences sonores de John Cage ou les avancées architecturales de Polieri) de ces cinquante dernières années ayant rendu caduque le rapport frontal à la scène.
    Nous avons donc cherché un rapport démultiplié et de proximité avec le public.

    Nous avons trouvé peu à peu une réponse dans la mise en espace scénique partant d'un rapport à 180° (3ème sursaut 1ère morsure) jusqu'à son éclatement à 360° à l'église Ste Marie-Madeleine.

     

    Par ailleurs, le lieu du spectacle est déterminé par l'espace scénique : même si l'acteur y est maître de ses circonstances, il ne peut changer ce rapport.
    Si un acteur aujourd'hui au théâtre dit : "Je m'en vais, je sors !", tout le monde sait qu'il ne s'en va pas et qu'il reste derrière les coulisses. Alors si l'on veut résoudre ce problème : soit il sort définitivement (comme l'acteur de Sade pensionnaire de l’asile Charenton qui, vexé d'une réplique de théâtre, quitte le plateau pour ne plus jamais y revenir), soit il reste et alors (toujours dans cette essentialité du geste qui caractérise notre démarche) sa présence a un sens qui ne peut être négligé !
    La notion de coulisses a donc disparu. Chaque existence particulière de Straszny avait une scénographie propre, unique, isoloir, coulisse scénique à laquelle le public avait accès.

    Par là, nous avons posé l'idée d'une mise en condition du spectateur et d'un Espace Scénographique Total.

    La force de l'acte théâtral, son enjeu et sa limite résident dans le fait indéniable qu'il participe de l'unique et de l'unité. Unique pour l'acteur et unité pour la mise en scène. C'est-à-dire que l'acteur doit rejouer sans cesse sa partition, et à chaque représentation, il tente de nous faire croire que c'est la première fois qu'il l'éprouve. Ce procédé, quoique éculé, est encore utilisé.
    Notre démarche consiste à questionner ce genre d'ambivalences.
    Nous avons donc posé cette problématique : comment faire pour préserver l'unique de l'acte théâtral, tout en cherchant à en fixer l'unité ?

        Tous nos procédés, qu'ils soient mécaniques, cinématographiques, sonores ou d'acteurs, ont répondu à cette question par le Théâtre-Cinématographe.

    MANIFESTE DU THEÂTRE-CINEMATOGRAPHE

     Straszny Happening 360° -Credits photos©Terribilità


    Il fallait débarrasser l'acteur de sa condition car elle était contraire au fait même de créer "Straszny".
    L'utilisation de l'image de l'acteur a permis dans les premiers temps une libération de sa condition et l'a amené à une stabilité sans qu'il soit une ingérence pour l'objet à atteindre.
    L'acteur peut, une fois filmé dans un autre temps que celui où il joue, compter sur sa partition cinématographique, qui elle est fixée. Elle lui permet d'agir ailleurs.

    L'acteur peut être plus proche de l'infiniment petit, en toute intimité et agir sur ce déchirement lorsqu'il s'approche d'un spectateur.

        Ainsi, l'image cinématographique de l'acteur projetée et démultipliée sur plusieurs écrans, et ce avec l'aide d'un montage efficace par son rythme et par la rareté des plans (219 pour Straszny) devient la sur-marionnette vivante de l'acteur physiquement présent.
    Son spectre lumineux peut apparaître au moment où nous le désirons et il est d'une efficacité redoutable puisqu'il ne dépend plus que de la machine-projecteur.


    Enfin, l'image et son utilisation technique nous permet d'ouvrir la salle, lieu unique de représentation, à d'autres satellites extérieurs que ceux habituellement mis en jeu.

        Si l'on synthétise à présent toutes ces données, nous pouvons d'ores et déjà déterminer les enjeux du Théâtre-Cinématographe et ainsi esquisser un théâtre libre, autonome et indépendant.

    Nous avons vu que la démultiplicité du jeu d'acteur sur un espace scénique à 360° ouvre à la convention théâtrale un champ d'horizon plus large parce qu'en recherche de crédibilité. C'est dans ce souci d'écoute que nous en sommes venus à cet éclatement si particulier du rapport frontal.
    Dans Straszny, les spectateurs passent au travers d'un cadre pour se retrouver dans l'espace scénique à 360° où les sources sonores et visuelles sont démultipliées et les actions simultanées.
    La partition théâtrale des existences particulières est basée sur l'intervention (action physique) et non pas sur la composition d'un personnage ou d'un sentiment supposé.
    Mais surtout par l'induction de l'image, le rapport de l'unité de lieu, de temps et d'action est littéralement explosé.

    Le Théâtre est alors le centre nerveux d'une compréhension aiguë du monde, un carrefour des songes, un trou dans le réel.

    Notre approche est non seulement théâtrale mais aussi cinématographique. Car la question du récit est aussi fondamentale au cinéma qu'au théâtre. Pour l'une il est fragmentaire et elliptique et pour l'autre il est unique et irrécupérable.
    Donc, le cumul sans être additionnel peut générer des émotions nouvelles auxquelles ni le cinéma seul, ni le théâtre seul ne peuvent prétendre.
     

        Même si la peinture reste et restera dans l'évocation de la chair, ne serait-ce que Francis BACON, un grand pan de l'histoire de l'art moderne a quitté le champ pictural pour celui plus "mis en situation", du happening. 
    Or le théâtre était déjà "le lieu où les lois de l'art rencontrent le caractère accidentel de la vie".(Tadeusz Kantor)
    On peut donc déclarer que les meilleurs peintres sont ceux qui sont restés dans les strictes lois de la peinture. Ceux qui s'en sont écartés ont versé dans la théâtralité.
    De même l'installation contemporaine est déjà une envie non avouée de sortir du cadre et d'être dans une perception à 360°.
     

    "Les concepts de qualité et de valeur n'ont un sens ou n'ont tout leur sens qu'à l'intérieur de chaque art pris individuellement. Ce qui demeure entre les arts est le théâtre." (Michael Fried)

     

    En tout cas, l'induction du temps réel dans les pratiques artistiques révèle que la vie ne veut pas se séparer de l'art. Car selon le bon mot de Wilde : "C'est la nature qui imite l'art."

        En revanche, le temps réel pose le contrepoint à une pensée cinématographique.
    Le récit au cinéma est resté celui du roman du 19eme siècle, malgré ses ellipses, il compose toujours son tableau, il fait des croquis, prépare ses esquisses.
    Malgré tout,  rien ne peut surprendre la vie de la pellicule sauf le théâtre.

     

    Le temps au cinéma y est établi, exposé et lorsque l'on pose la notion de temps réel, on ne peut que remettre en question littéralement et physiquement le paramètre de ce pourquoi nous avons agi.
    Ce temps réel n'est rien d'autre que ce temps présent immédiat, qui ne se fixe jamais parce qu'en mouvement. Voilà le mercure rouge : seul le site vivant, l'organisme humain mêlé à la machine et à la forme, alimenté par une pensée nouvelle peut redonner l'éclat à une fraction de seconde que tout cela ne fut pas en vain.

     

    L'approche cinématographique ainsi demandée est à la fois dépendante de son utilisation théâtrale et en même temps elle se doit de faire preuve d'une autonomie irréprochable, afin de trouver avec les acteurs le ton juste qu'il faut pour être à la fois dans l'image puis en face.

    C'est dans ce souci qu'il y a un problème avec le récit.
    On ne peut capter l'attention, on ne peut qu'effleurer la sensibilité, comme si l'image qui parvenait aux spectateurs était une image floue, lointaine et pourtant précise par ce qu'elle dégage et ce qu'elle dit.
    C'est sans doute pour cela que l'utilisation du symbolisme est pour nous une (parmi d'autres) source d'inspiration mais uniquement du point de vue formel.

    Si le récit pose autant de problèmes, c'est que la forme narrative linéaire ou elliptique ne peut rendre vivants les concepts concrets que sont la contradiction, le doute et la suspension.
    Nous entendons par contradiction par exemple, la confrontation entre la chair humaine et la pellicule qui la représente.

    Il s'agit avant tout pour nous de la dissolution du sens parce qu'à la saturation il n'est qu'un remède : surenchérissement artistique sans précédent.


                  Nous imaginons donc un cinéma ou plutôt un théâtre- cinématographe qui soit vivant dans tous les sens du terme, où l'interactivité de l'acteur et de son image se répondent d'un commun accord vers une perfection de la représentation des passions humaines. Et qui, par ce procédé n'explorera pas les voies psychologiques ou même psychiatriques mais bien celles d'une poésie imaginaire mue par des concepts concrets de questions sur la représentation et l'acteur.

    1998










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