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Yeux-Verts, Maurice, Lefranc et Boule-de-neige
JM MUSIAL
"Je reste attiré par les êtres qu'on appelle ténébreux, ceux en qui quelque chose me révèle la nuit, ceux qui sont enveloppés de nuit, fut-ce cette nuit qu'est encore l'éclat dont ils rayonnent." Jean Genet, Pompes Funèbres.
Incarcérés dans la cellule d'une gigantesque forteresse, trois détenus partagent une existence tendue que ponctuent le courrier, les visites au parloir et la surveillance discrète d'un gardien. Yeux-Verts, analphabète ("Je suis une belle phrase"), ancien matelot, portant sur la poitrine le tatouage de sa femme, est hanté par la mort à laquelle on l'a condamné. Son prestige de grand criminel provoque chez ses deux camarades, Lefranc et Maurice, deux petits voleurs, d'incessantes querelles visant tantôt la personne même de Yeux-Verts, tantôt sa femme attendue au parloir, tantôt Boule-de-neige, condamné à mort à un autre étage. Lefranc chargé de la correspondance de Yeux-verts qui cache à sa femme son handicap, profite perfidement de son avantage en donnant libre-cours à sa convoitise jalouse. Maurice non plus n'a pas choisi son malheur, sa "jolie petite-gueule de voyou suffit à l'accuser".
Considérée comme un brouillon par Jean GENET, "HAUTE-SURVEILLANCE" fut réécrite plusieurs fois, par couches (de 1949 à 1985), devenant par là même une oeuvre palimpseste.
« Si j’ai voulu le plein feu sur scène, c’est afin que chaque acteur n’aille pas noyer une erreur, une faute passagère, son épuisement ou son indifférence dans une salvatrice obscurité. Bien sûr tant de lumière lui fera mal. D’être si fortement éclairé l’obligera peut-être…" Jean Genet, Lettre à Roger Blin.
PAULO-LES-DENTS-FLEURIES par la force obscure et mystérieuse des choses, tue la femme "qui voulait son lilas" et devient pour Haute-Surveillance : YEUX-VERTS (Carmelo CARPENITO).
De la série d'évènements troubles qui conduisit YEUX-VERTS au meurtre, il résulte au lieu d'un enchaînement sans faille, une difficulté majeure appelant à l'exorcisme ; explosion poétique à l'échelle de la prison entière.
Une danse solitaire renouant dans le silence avec les rites perdus des espaces sacrés, d'où il entrevoit de l'anti-chambre de la mort, l'anti-chambre des dieux.
YEUX-VERTS femme, YEUX-VERTS forteresse, affronte son destin et accepte son malheur, il le veut total. Pour y parvenir, il se confondra au prix de la trahison de ceux que sa belle force criminelle enivrait, MAURICE et LEFRANC.
YEUX-VERTS se remémore son crime, il en a conscience et de ce fait, dans la hierarchie quasi-féodale que dresse GENET, il ne pourra jamais égaler BOULE-DE-NEIGE, "le sauvage qui a le droit de tuer les gens et même de les manger". Car BOULE-DE-NEIGE reste indifférent à ce qu'il a fait. Il chante.
Même couvert de cirage YEUX-VERTS restera en-dessous de BOULE-DE-NEIGE. Mais s'ils ne sont pas au même niveau, aucun n'a choisi son crime, c'est le crime qui les a choisis,ÉLUS de la Fatalité, l'un par inadvertance, l'autre par appât du gain.
LEFRANC, JULES ou GEORGES (Jean-Marc MUSIAL) vit au milieu des signes. Il se fabrique de fausses marques de gloire. Son tatouage est un simulacre.
LEFRANC se nourrit de sa fascination pour les grands criminels au point de collectionner photos et articles de presse à scandale sous la pierre tombale de sa cellule.
Il est l'homme du paraître, celui qui cherche le malheur parce qu'il brille de la lumière noire du refus absolu. Lui a provoqué son malheur et ne portera jamais le sceau de la Fatalité, il ne pourra pas rejoindre YEUX-VERTS malgré le meurtre de MAURICE.
MAURICE (Bouzid BAZI), 17 ans, est la victime consentante ; amoureux fou de YEUX-VERTS, il se place sous sa protection illusoire ; pieds-nus, dévoué et dévoré par la jalousie, il poussera LEFRANC à son propre meurtre, ce crime final qui clôt la pièce sous le regard indifférent du gardien (Emmanuel Plovier).
Avec une attitude immanente d'acceptation de sa situation, sans aucune tentative d'ouverture, il ne perçoit pas la gravité de ce qui se trame. Mieux il y participe. Il y a chez MAURICE une tendance suicidaire qui se manifeste dans une nécessité sacrificielle. Il est persuadé que YEUX-VERTS le défendra toujours. Sauf à la dernière réplique, jamais il ne perçoit qu'il va mourir.
LEFRANC par son crime exprime ce besoin désespéré de s'approprier la part la plus élémentaire, la part maudite de l'être, celle qui différencie l'homme anonyme et insignifiant à leurs yeux, du beau meurtrier reconnaissant dans la mort par condamnation son miroir le plus fidèle.
Lefranc (Jm Musial), Yeux-Verts (Carmelo Carpenito), Maurice (Bouzid Bazi)
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