• °JE T'AI MIS MON COEUR DANS TON CORPS

    Je t’ai mis mon cœur dans ton corps

    pour que tu te souviennes de ce que tu as oublié.    

    Par Virginie Di Ricci

             Texte paru dans les Cahiers Artaud n°1 - 240 pages                                 www.editionslescahiers.fr

     

      

     

     «Cela veut dire que quand je joue mon cri a cessé de tourner sur lui-même, mais qu’il éveille son double de sources dans les murailles du souterrain. Et ce double est plus qu’un écho, il est le souvenir d’un langage dont le Théâtre a perdu le secret»[1].

     

    N’en déplaise aux tenants du miraculeux commencement grec, dans l’Egypte ancienne le théâtre existait. Il était joué devant les temples par des mimes/acteurs. Il se jouait dans la conception de la mort comme passage à son Ka. Le Ka c’est le double du moi – moi le mort. Il vit sur le plan magnétique. Il a un aspect transindividuel. Or il est mortel. Pour échapper à la seconde mort et entendre le Ka dire : «je suis vivant», les égyptiens opéraient la momification du cadavre et pratiquaient l’ouverture de la bouche de la momie. Passer à son ka nécessitait du moi qu’il se dégage de son ombre maléfique laquelle si elle était trop chargée pouvait l’entraîner dans les mondes souterrains. C’était le cas des criminels et pour d’autres raisons des suicidés. . .

     

    O vio loto o théthé[2]

    Dans la stratégie de guerre - une guerre sempiternelle - mise en oeuvre par Artaud, l’acteur vivant est une momie. Guerrier-Kha à la tête d’une poignée de momies, de quelques filles de cœur à naître, il connaît le secret de la peste venue d’Egypte, et nul besoin d’une prolifération de rats pour cela. Des milliers de milliers de morts d’êtres, massacrés par ses multiples machines de l’instant, jonchent ses 173 derniers cahiers. Mais ce n’est pas encore assez car les êtres sans corps authentiques pullulent dans toutes les strates du temps et de l’espace et font de l’homme moderne un possédé.

    Ya Koura Koura Koura gana Koura gana Koura raro3

     

    Non, l’Homme n’est pas un être de manque.

    Alors Jouez momies mes heurts de sarcophages hostiles ! Dansez la danse du poteau de fureur derrière le coeur !

    Ouvrez la bouche ! Pulsez mes cris de guerre sans langue sans glotte et sans luette ! Mon cœur – qui n’est pas moi - est dans mon poème. Soufflez-le ! Perforez le réel avec mes hiéroglyphes, mes veines ! Paroi après paroi virtualisez le théâtre de la cruauté !

    Les ennemis :

    La mort. Avant elle n’existait pas. Elle a été inventée par Seth-Satan-tout le monde, le criminel, le jaloux. L’au-delà. Il est ici. C’est du théâtre. C’est de la réalité. Virtuelle. Les initiés adeptes de la magie noire. Ce sont eux qui ont volé le théâtre de la mort, qui l’ont caché au fond des temples et des cavernes, l’ont maquillé en au-delà, en Livre des morts à vendre. Les êtres. Ils n’ont pas de corps authentique : résidus psychiques de la conscience unanime, idées, esprit, microbes, larves de la sanie bourgeoise, docteur L., dieu et ses chiens..

    Les armes :

    Le marteau. Ecce Homo. L’Humour-Destruction. Maîtriser sa propre ombre grimaçante tel le Momos du théâtre de séraphin, qui raille les dieux et plaît aux enfants. Certains d’entre eux se souviendront d’un certain Homme-machine. La magie. Elle elle existe. Le théâtre. Celui d’Edfou et d’Abydos qui soulève les tombeaux des Grands morts, qui déracine leurs ennemis occultes. Héliogabale, Nerval, Baudelaire, Nietzsche, Poe, Lautréamont, Van Gogh, sosies d’Antonin Artaud, suicidés de la société, il faut les arracher à l’ombre.

     

     

    1Antonin Artaud, Le théâtre de Séraphin, p228, Gallimard, 1964. Première publication, coll. L’air du temps,

    1948. 2 Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, p.54, Gallimard, 1990. Première publication, K

     

    éditeur, 1947. 3 Antonin Artaud, Cahiers d’Ivry vol.II, Cahier n°322, 11r°, p.1370, Gallimard 2011.

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