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    Colette Thomas

    Fleur inverse

    Philosophe-Poète

    Actrice-Théoricienne du théâtre

    absolue et recluse

    éclate 

    maintenant pour toujours

     Il faut croire qu’il est Temps

    « CAR LA VOIX EST FEMME MAIS ELLE N’EXISTE PAS »

     

    La trace brûlante sous la cendre qu’elle nous a laissée

    refait surface

    à la faveur de la réédition par les Editions Prairial du

    TESTAMENT DE LA FILLE MORTE

     

    Edité dans l’ombre une première fois par Jean Paulhan en 1954

    sous le pseudonyme de « RENÉ »

    (Il y a des philosophes qui naissent posthumes)

    ce Testament contient cinq parties dont

    « DU VÉRIDIQUE THÉÂTRE » 

    et

    dans la section intitulée

    « LE DÉBAT DU COEUR »

    ses lettres adressées à

    l’auteur du Théâtre et son double

    Antonin Artaud

        

    Elle fut son actrice

    (sans enregistrement)

    sa fille de cœur vivante

    dont la poésie révulsée du Cardiazol

    mais « JE PASSE, JE PASSE »

    et la fleur théâtrale inversée

    faisaient d’elle son double féminin

    sa soldate des furieux temps derniers

     

    la pionnière de ce que nous appelons

    aujourd’hui la poésie-performance

    qui a commencé par

    AlLIENER L'ACTEUR

     

    Amour sans exemple

    Héloïse et Abélard électrochoqués

    se rencontrant dans l’après-guerre

    À quoi sert la rencontre sur la terre ?

    Elle l’a aimé jusqu’au supplice

    Il croit qu’il l’a fait naître

      

    Il l’a fait naître

    au théâtre de la cruauté un jour de juin 1946

    FRAGMENTATIONS

    Pendant des coupures d’électricité

    elle a expectorié

    Les enfants de la mise en scène principe

     

    Dans l’éclair elle a fait césure

    avec l’ancien dire la poésie

    La nouvelle génération discrépante ne s’en est pas remise

    Acte unique désormais culte

     

    Avant Artaud :

    Kant, Kierkegaard, Christ

    Dullin et Jouvet

    Lui la voyait dans Ondine

    Artaud voulut lui confier pour la radio

    le Rite du soleil noir

    Elle répéta Une Saison en enfer

     Vierge folle/Époux infernal

     

    s’effaça volontairement

    choisit l’écriture puis le silence

       

    Testament, Débat du Cœur

    François Villon

    indique quelle lignée de poètes voyants

    elle poursuit

    Le supplice est sûr

    jusqu’à Rimbaud

    et sa prophétie

    qu’elle accomplit

    (Quand prendra fin l’infini servage de la femme

    Elle deviendra poète)

     

    Les lettres d’Artaud à Colette Thomas

    ont paru tard  dans

    Suppôts en Suppliciations

    Il avait lu dans son Débat du cœur

    la formation d’un autre univers.

    *

    « Et qu’est-ce que la haine contre le monde et

    l’héroïne de l’amour du monde ont conçu ? »

     

    *

     Virginie Di Ricci (Septembre 2021)

    Colette Thomas, fleur inverse -  Virginie Di Ricci

     


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    Colette Thomas et Antonin Artaud, "âmes sœurs" sur la scène du Périscope à Nîmes

     

     

    Publié le 02/10/2023 à 15:07 , mis à jour le 03/10/2023 à 17:37
     

     

     

     

     

    La saison du théâtre du Périscope à Nîmes s'ouvre ce mardi 3 octobre avec "Le Débat du cœur", autour de la relation méconnue entre Colette Thomas et Antonin Artaud. 

    Une histoire d'amour et de poésie./ Photo Arnaud Baumann

    Il y a trois ans, le metteur en scène Jean-Marc Musial et la comédienne Virginie Di Ricci, de la compagnie Terribilità, présentaient "Double prisme" au Périscope, explorant à travers le cinéma les relations entre l'auteur Antonin Artaud et le cinéaste Abel Gance. Les artistes continuent à sillonner autour de l'univers du poète avec "Le Débat du cœur", qui ouvre ce mardi 3 octobre, la saison du Périscope à Nîmes, en co-accueil avec l'association Anima.  

    Avec ce spectacle, les artistes font revenir sur le devant de la scène une personnalité oubliée, Colette Thomas, qui a entretenu une folle histoire d'amour platonique avec Artaud. "C'est une jeune femme des années 40, qui a étudié la philosophie, a rédigé une thèse sur Kant. Elle voulait faire du théâtre et a été proche de Louis Jouvet", raconte Virginie Di Ricci, avec ferveur. "Son mari Henri Thomas était le secrétaire de Gide, poursuit-elle. C'est comme ça qu'elle a découvert "Le théâtre et son double". À l’époque, Antonin Artaud est interné en hôpital psychiatrique à Rodez, ils mettent du temps à le retrouver et vont lui rendre visite en 1945."

    "Des cristaux de pensée"

    "Colette Thomas a déjà été internée et ils vont se reconnaître comme âmes sœurs." Ainsi s'engagent une correspondance et une intense collaboration. Quand le Tout-Paris littéraire rend hommage à l'écrivain au théâtre Sarah Bernhardt, Colette Thomas monte sur scène pour dire des textes inédits, finissant dans le noir à cause d'une panne d'électricité.  

    Elle aussi écrit et partage ses textes avec Artaud, notamment "Le Débat du cœur", première partie du "Testament de la fille morte", publié en 1954 par le Nîmois Jean Paulhan et réédité récemment. Ce sont ces mots que Jean-Marc Musial et Virginie Di Ricci présentent sur scène. "Il s'agit de fragments de lettres envoyés à Artaud, mais le texte est tout de suite tombé dans l'oubli". Colette Thomas n'écrivait pas pour les temps présents, mais pour la postérité. Elle est morte en 2006, silencieuse depuis un demi-siècle. 

    "Histoire d'amour non consommée"

    La relecture du livre offre un nouvel éclairage sur cette personnalité littéraire oubliée, ainsi que sur sa relation avec Antonin Artaud. "Il s'agit d'une vraie histoire d'amour non consommée qui trouve sa résolution dans le théâtre et dans la poésie", poursuit Virginie Di Ricci. "Le Débat du cœur" livre une poésie composite, "des cristaux de pensée". On y retrouve à la fois la profération, l'urgence, le chaos brûlant, les illuminations des textes d'Artaud, mais avec une tonalité plus intérieure. "C'est une poésie qui donne à chaque mot sa puissance d'action" et qui prend vie sur scène, dans une mise en scène dépouillée, sans aucun artifice, avec un travail de "dissociation du corps et de la voix." 

    Mardi 3 octobre, 19 h. Le Périscope, 4 rue de la Vierge, Nîmes. De 6 € à 16 €. 04 66 76 10 56.
     
    https://www.midilibre.fr/2023/10/02/colette-thomas-et-antonin-artaud-ames-soeurs-sur-la-scene-du-periscope-a-nimes-11491942.php
     
     
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    SPECTACLE VIVANT ET DÉCOUVERTES CULTURELLES EN PACA

    Ouvert aux publics reçoit Laetitia Mazzoleni, directrice du Théâtre Transversal à Avignon.

    En juillet 2023, Laetitia Mazzoleni présentait son théâtre comme étant un lieu « fait par les artistes ». Nous revenons avec elle sur ses mots avant de plonger dans sa programmation aux mille et une découvertes.

    Anima Edition vous invite à découvrir « Adorcisme », les 29 et 30 septembre 

    Lors de ces rendez-vous, performances, discussion philosophique et théâtre s’entrechoquent. Vendredi 29 septembre, à 20h30, la Compagnie Terribilità (Jean-Marc Musial et Virginie Di Ricci) vous immerge dans la correspondance entre la pionnière de la poésie-performance Colette Thomas et Antonin Artaud. L’interprétation de Virginie Di Ricci casse les codes de la représentation et offre un moment de théâtre de haute volée où l’écriture féconde, issue de cette correspondance, bouleverse nos sens. La mise en scène de Jean-Marc Musial accompagne d’une merveilleuse façon la traversée qui est offerte au public.

    Autre moment fort de ce week-end, sur la journée du samedi 30 septembre, Le Tarot de Marseille par Laurent Estoppey, concert pour auditeur unique et Le théâtre du monde, un numéro de Philo Foraine par Alain Guyard.

    Un début de saison riche

    Durant le premier trimestre de programmation, le public fera la connaissance de la maison d’édition avignonnaise Les Bras Nus, croisera « Cassé » de Rémi de Vos ainsi que le rendez-vous incontournable Les Rencontres de la Sabam.

    Laetitia Mazzoleni se révèle entière dans cet interview. À écouter sans modération. 

    Podcast disponible ici :

    Ouvert aux publics reçoit Laetitia Mazzoleni, directrice du Théâtre Transversal à Avignon.

    Nous revenons avec elle sur ses mots énoncés lors de la présentation du festival Off d’Avignon 2023 à savoir « Le Transversal est fait par les artistes » , puis elle nous présente le week-end d’ouverture de saison durant lequel Anima edition vous invite à plonger dans « Adorcisme », les 29 et 30 septembre. 

    Durant le premier trimestre de programmation, le public fera la connaissance de la maison d’édition avignonnaise Les Bras Nus, croisera « Cassé » de Rémi de Vos ainsi que le rendez-vous incontournable Les Rencontres de la Sabam.

    Laetitia Mazzoleni se révèle entière dans cet interview. À écouter sans modération. 

    Podcast disponible ici : https://ouvertauxpublics.fr/itw-une-saison-au-theatre-transversal/


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  • Colette Thomas : écho-système

                                                                                           par Elodie TAMAYO ( Juillet 2023)

     

     « “Colette, Colette”, c’est un écho qui parle plus vrai que le nom jamais entendu, qui éclate1 . » Colette, Colette Thomas : ce nom ne dit presque plus rien à presque plus personne. Pourtant, elle tonne, la poétesse oubliée et l’actrice en promesse, sur le plateau du Débat du cœur, porté par Virginie di Ricci (au jeu) et Jean-Marc Musial (à la mise en scène). Leur création prend la forme d’une chambre d’écho où se rejoue la rencontre entre Colette Thomas et Antonin Artaud, nouée dans un interstice du temps – avant la mort, pour lui, et de nouveaux internements, pour elle. Dans ces années d’après-guerre, l’onde de choc de cette rencontre se propage dans leur intimité, leur verbe, au théâtre. Fidèle à ce tressage de nerfs, la pièce du Débat du cœur entremêle les sources : la correspondance Colette/Artaud ; les proférations d’Artaud par Colette ; puis le manuscrit unique de l’autrice, paru en 1954 sous le titre Le Testament de la fille morte (et redécouvert en 2022 grâce aux éditions Prairial).

    Colette, Colette Thomas. Elle nous parvient sur le mode lacunaire de l’archive : en fragments, du lointain, par écho donc. Sa voix, jamais enregistrée, reste une fréquence virtuelle. Un mince jeu de photos la capture en tenue d’écolière, avec une attitude de sainte dérangée. Un portrait tremblé sous les doigts d’Artaud l’esquisse en pythie. Quelques coupures de presse narrent sa façon de performer les textes d’Artaud après Rodez, dont une lecture plongée dans le noir suite à une panne de courant, et sa diction devenue électrique. Colette hante aussi les pages de Suppôts et Suppliciations. Son propre opuscule, impur et hétérogène – fait de bouts de poèmes, contes, pensées – dissout le sujet, réduit en traces, effacé dans l’autre. L’autre ? L’écho, justement. Colette cherche la vie à l’état de reflet. Cet envers de soi et du monde peut se révéler dans le miroir tendu par l’amour, à condition qu’il trouble les seuils du connu, par ressemblance, correspondance, dissonance aussi. Cette doublure du réel, Colette la nomme, le « retourné » : « le souffle retrouvé, l’unique présence reconnue : l’autre ce MÊME RETOURNÉ2  ! »

    « L’autre, ce même retourné » : Colette traversée d’Artaud, Artaud visité par Colette. Expiration et aspiration mutuelle, rendue par le souffle de Virginie di Ricci. Elle respire ce texte, communiquant entre deux voix, jusqu’à les brouiller. Son corps est parcouru par les voltages alternatifs d’Artaud et de Colette, tels des organes doubles qui se partagent sa physionomie. Mais la symétrie appelle l’opposition. Le Débat du cœur bat moins en harmonie qu’en dissonance : il se débat avec chocs, écartèlements, intermittence. Dans les années « folles », on nommait « écho de la pensée » une maladie de l’esprit. Et on le retrouve, ce trouble, dans le verbe de Colette, la verve d’Artaud, le dire de Virginie di Ricci : une répétition pathogène, interrompue, grippée. On y entend, restituée, la lutte de psychés en prise aux électrochocs et au cardiazol, traitements qui affectent la mémoire et dont la langue garde le trauma.

    Risquant tout pour le monde « retourné », Colette et Artaud ont entrepris de secouer sa désignation. Ils pèsent leurs morts sur la balance de leurs nerfs, éprouvant le poids des termes, leur mode de pression sur la page, la scène, la bouche, leur façon d’infléchir et impressionner le corps et l’esprit. Ils mesurent aussi l’espace entre les phrases, la distance entre les mots, l’écart qui sépare les phonèmes, le passage de l’articulé au désarticulé, du souffle au son. La langue s’en trouve déstructurée : dispersée en énoncés enchâssés, indirects ou lacunaires, conjuguée à l’impossible, ponctuée d’effacement. Colette, squelette. La rime est filée dès l’avant-propos de son manuscrit où elle se présente sur le mode d’un inaccompli fondamental. Car la poétesse se tient à mi-chemin entre l’existant et le non-existant. L’informulé, ce pan du monde soustrait à la raison, épaissit les contours de sa prose. Le néant, et son envers lumineux – le possible – percent la stabilité du logos. Tout comme chez Artaud, l’attrait des limbes opère, il y pulse la conviction de la théologie négative.

    Et comment le rendre, sur la scène, ce paradoxe d’une présence-absence, d’un fulgurant retrait ? Jean-Marc Musial le manifeste par un plateau nu, sorte de cavité primordiale où point une nouvelle genèse : de l’apparition de l’ombre à celle de la lumière (électrique), de l’exposition de soi à soi, de soi à l’autre. Ce vide, d’épure obscure, forme l’espace d’un théâtre atomisé par une guerre planétaire d’après laquelle Artaud et Colette éprouvent l’anéantissement probable du monde. Cet espace « nucléaire » compose en même temps une arène rituelle, élémentaire, où se risque l’être en proie au poème. Ce lieu propice à la confidence, permet de la pousser à son intensité extrême, en vue de cette « exaspération totale de l’être » chère à Colette.

    On l’entend, l’écho de l’écho, se propager dans cet abime et se répercuter contre Virginie di Ricci. L’actrice pratique l’aplomb du gouffre. Un ancrage impressionnant, dans l’assise, jambes pliées et écartées, rivées au sol, qui raconte aussi une béance d’éros entre Artaud et Colette. « Car les Enfants de la mise en scène Principe ne sont pas dans le son, mais dans le con ! ».

    La vie dans les plis, le froissement d’un tissu, un battement de cuisses, restitue la vibration du texte, son désir forcené. Axes des désaxés. Il faut porter ce verbe en état de consumation, se laisser déstabiliser par ses masses et ses crevasses, ses cris et soupirs. La voici qui chancelle vers l’avant du pied, bascule le torse, culbute, martèle le sol dans l’oblique d’une paire de talons, syncope des avant-bras rigides. C’est qu’agiter le pantin, secouer la poupée, permet de retirer « le costume conventionnel et ridicule de l’être humain reconnu utilisable et utilisé par l’abjection3  ».

    Et dans ce théâtre d’ombres, où les marionnettes cisaillées d’Antonin Artaud et de Colette Thomas se découpent, réfléchir à un nouvel « écho -système ».

     

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    1 Colette Thomas, « En lettre pour précéder ‘‘Le débat du cœur’’ », Le Testament de la fille morte (1954), Paris, Éditions Prairial, 2022, p. 7.

    2 Le Testament de la fille morte, ibid., p. 42.

    3 Ibid., p. 16.

     

    Elodie Tamayo

    Maîtresse de conférences en études cinématographiques à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon

    Docteure en Cinéma (Spécialiste d'Abel Gance) 

    Rédactrice aux Cahiers du Cinéma.


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  • 2ème INTERVENTION DU G.I.T.S.E.C

    (Groupe d'Intervention Théâtral Scandaleux et Contestaire)

     

    Vendredi 31 Mars 1995

    (La Métaphore) - Théâtre National Lille

     

    Les Exclus d'après Elfriede Jelinek

    Adaptation : Jöel Jouanneau - Mise en scène : Stéphanie Loïk

     

     

           Cinq intervenants assistent au spectacle.

           La pièce se termine par ces mots : "Vous pouvez disposer de moi."

           Noir scène. Noir salle. Applaudissements.

     

          JMM se lève et donne le départ par un long coup de sifflet.

          Les acteurs sont entre-temps revenus sur scène pour saluer, la salle est légèrement éclairée. 

          Au coup de sifflet, debout tous les cinq, nous lançons dans la salle des centaines de tracts :

                              - textes écrits par JMM, PAA, FA, JB

                              - détournements publicitaires

                              - détournements pornographiques

                              - articles de presse

                              - catalogues de produits de consommation

     

         SIMULTANEMENT :

         - LD, un bâillon sur la bouche, située à droite dans les premiers rangs, monte sur la scène

           pour distribuer un tract aux comédiens debout, rangés en ligne droite face au public.

           Sur le tract : "POURQUOI FAITES-VOUS CE QU'ON VOUS DIT ?"

           Certains des comédiens le prennent, d'autres refusent.

           Elle descend et commence à prendre des photographies de l'intervention.

         - JMM, venant de la gauche à quelques sièges de la scène, tente d'écrire "INOFFENSIF" en lettres blanches.

           Un technicien l'en empêche en le ceinturant. Il réussit à se dégager, est obligé de monter sur la scène pour

          pouvoir lire son texte à haute voix vers le public :

          "ATTAQUES A MAINS ENSANGLANTEES."

         Le technicien va s'asseoir et l'écoute.

         - F.A, placé au centre de la salle, se déshabille, s'adresse au public en répétant en boucle les phrases

        suivantes :

        "DE QUOI AS-TU PEUR ? A QUI JE M'ADRESSE ?"

         - PAA et JB, situés au fond de la salle, l'un à gauche, l'autre à droite, bâillonés  également, descendent les  gradins. Une personne essaie de retenir PAA - elle lui dit : "Non".  Il l'écarte en la poussant.

         PAA et JB rejoignent FA, entièrement nu et le badigeonnent de pigment pur rouge. D'abord recroquevillé, il se    redresse lentement. Les mots tournent toujours dans sa bouche inlassablement.

        PAA et JB, les mains rouges, ramassent quelques tracts pour les distribuer aux spectateurs intrigués.

     

       Agitation confuse : applaudissements mêlés de huées, quelques insultes, la salle se contente de réagir mollement. Les comédiens sont toujours présents et observent.

       FA est maintenant droit, bras levés. Il lance un dernier cri, avant de s'effacer, interrompant ainsi l'intervention en entraînant les autres à sa suite.

       Un technicien nous suit jusqu'à la sortie.

       Il nous dit : " C'était très beau ! Et maintenant qui c'est qui va nettoyer la moquette ?".

    DOCUMENTS INOFFENSIFS

    2ème INTERVENTION DU G.I.T.S.E.C

     

     


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  • 1ère intervention du G.I.T.S.E.C

    (Groupe d'Intervention Théâtral Scandaleux et Contestaire)

     

     

    Mardi 14 Mars 1995

    Rose des Vents - Scène Nationale - Villeneuve d'Ascq

     

    Le Tartuffe de Molière

    "Mise en scène : Benno Besson

     

     

                  Le G.I.T.S.E.C assiste comme les autres spectateurs au déroulement du spectacle.

                  La pièce se termine. Noir scène. Noir salle. Applaudissements.

     

                  JMM se lève, descend jusqu'à l'espace situé entre la scène et le gradin,

                  marque sur le sol, à la bombe de peinture blanche, le mot INOFFENSIF.

                  qui s'inscrit au pied des spectateurs.

                  Ceux-ci applaudissent toujours.

                  Entre-temps, les comédiens sont venus saluer.

     

                  Parallèlement à cette action, F.A prend des photos en noir et blanc :

                  Aucune opposition rencontrée.

                  Indifférence générale.

                  Nous quittons la salle dans le calme.

     DOCUMENTS INOFFENSIFS

    1ere intervention G.I.T.S.E.C

    1ere intervention G.I.T.S.E.C


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  • MANIFESTE POUR UN NOUVEAU THEATRE 

    Pier Paolo PASOLINI (1968)

    Le théâtre que vous attendez, même sous la forme de nouveauté totale, ne pourra jamais être le théâtre que vous attendez. En fait, si vous vous attendez à un nouveau théâtre, vous l’attendez nécessairement dans le cadre d’idées qui sont déjà les vôtres ; en outre, faut-il préciser que ce à quoi l’on s’attend, existe en quelque sorte déjà. Pas un seul d’entre nous n’est capable de résister, devant un texte ou un spectacle, à la tentation de dire ‘‘C’est du théâtre’’ ou bien ‘‘Ce n’est pas du théâtre’’, ce qui signifie que vous avez en tête une idée du théâtre parfaitement enracinée. Or, les nouveautés, mêmes totales, vous le savez suffisamment, ne sont jamais idéales, mais concrètes. Et donc leur vérité et leur nécessité sont mesquines, fastidieuses et décevantes : ou l’on ne les reconnaît pas, ou elles sont discutées en référence aux vieilles habitudes. Aujourd’hui, vous attendez tous l’avènement d’un théâtre nouveau, et l’idée que vous vous en faîtes est née au sein du vieux théâtre.

    Si ces notes ont pris forme de manifeste, c’est que ce qu’elles expriment de nouveau se pose ouvertement, voire impérieusement, comme tel. Dans le présent manifeste, le nom de Brecht ne sera cité nulle part. C’est le dernier homme de théâtre qui ait pu faire une révolution théâtrale (à l’intérieur du théâtre) dans le théâtre : parce qu’à son époque prévalait l’hypothèse que le théâtre traditionnel existât (et de fait, il existait bien). À présent, comme nous le verrons dans ce manifeste, l’hypothèse est que le théâtre traditionnel n’existe plus (ou qu’il soit en voie de disparition). A l’époque de Brecht, il était donc possible d’opérer des réformes, même de profondes réformes, sans mettre le théâtre en question : d’ailleurs la finalité de telles réformes était de lui restituer son authenticité théâtrale (de rendre le théâtre authentiquement théâtral). Aujourd’hui, au contraire, ce qui est remis en question, c’est le théâtre lui-même ; et donc ce manifeste prétend à une finalité paradoxale : le théâtre doit être ce que le théâtre n’est pas. Quoi qu’il en soit, c’est une certitude : les temps de Brecht sont définitivement révolus.

    Quels seront les destinataires du nouveau théâtre ? Les destinataires du nouveau théâtre ne seront pas les bourgeois, qui composent généralement le public théâtral (de théâtre) : mais les groupes avancés de la bourgeoisie. Ces trois dernières lignes, qui ont tout du procès verbal, constituent la première proposition révolutionnaire de ce manifeste. Elles signifient, en effet, que l’auteur d’un texte théâtral n’écrira plus pour le public, qui a toujours été, par définition, jusqu’ici, le public théâtral ; ce public qui va au théâtre pour se divertir, et qui parfois s’y scandalise. Les destinataires du nouveau théâtre ne seront ni divertis ni scandalisés par le nouveau théâtre, parce, appartenant aux groupes avancés de la bourgeoisie, ils sont en tous points pareils à l’auteur des textes. Il est vivement déconseillé aux dames qui fréquentent les grands théâtres (citadins) et qui ne manquent aucune ‘‘première’’ de Strehler, Visconti ou Zeffirelli, d’assister aux représentations du nouveau théâtre. Si, par hasard, elles s’y rendent, dans leurs visons symboliques et pathétiques, elles trouveront une pancarte à l’entrée avertissant que les dames en manteau de vison seront dans l’obligation de payer le billet trente fois plus que son prix normal (au demeurant extrêmement bas). Cette même pancarte, en revanche, signalera que les fascistes (à condition d’avoir moins de vingt- cinq ans) auront droit à l’entrée gratuite. On y lira, en outre : ‘‘prière de ne pas applaudir.’’ Les sifflets et les désapprobations seront admis, naturellement ; cependant, au lieu des applaudissements éventuels, il sera requis de la part du spectateur cette confiance quasi mystique dans la démocratie, qui permet le dialogue : un dialogue totalement désintéressé et idéaliste, sur les problèmes que pose le théâtre et ce dont il débat. Nous entendons par groupes avancés de la bourgeoisie les quelques milliers d’intellectuels, dans chaque ville, dont l’intérêt culturel, pour être ingénu peut-être, ou provincial, n’en reste pas moins réel. Objectivement, la plupart d’entre eux sont représentés par ceux qui se définissent comme ‘‘progressistes de gauche’’ (y compris ces catholiques qui s’efforcent de constituer en Italie une nouvelle gauche) : la minorité de tels groupes est constituées par les élites survivantes issues de la laïcité /…/ et du radicalisme. Naturellement (il va sans dire que) cette liste (ce recensement) est, et se veut, schématique et terroriste. Le nouveau théâtre n’est donc ni un théâtre académique ni un théâtre d’avant-garde ? Non seulement il ne s’insère dans aucune tradition, mais il ne la constate même pas. Simplement il l’ignore et passe outre, une fois pour toutes.

     

    Le théâtre de parole. Le nouveau théâtre entend se définir, même banalement et en terme de procès-verbal, ‘‘théâtre de parole’’. Son incompatibilité, tant avec le théâtre traditionnel qu’avec n’importe quel type de contestation du théâtre traditionnel, est donc contenue dans cette auto- définition. Il ne se cache pas de se référer explicitement au théâtre de la démocratie athénienne, quitte à franchir d’un bond toute la tradition récente du théâtre bourgeois, pour ne pas dire la tradition moderne toute entière du théâtre de la renaissance et du théâtre de Shakespeare. Assister aux représentations du ‘‘théâtre de parole’’ avec l’idée d’écouter (d’entendre) plutôt que de voir (restriction nécessaire pour mieux comprendre les paroles que vous percevez et, partant, les idées qui sont au fond, les personnages réels de ce théâtre). À quoi s’oppose le théâtre de parole ? Le théâtre tout entier peut se diviser en deux types : ces deux types peuvent donner lieu à diverses définitions, selon une terminologie sérieusement choisie, par exemple : théâtre traditionnel et théâtre d’avant-garde ; théâtre bourgeois et théâtre anti-bourgeois ; théâtre officiel et théâtre de contestation ; théâtre académique et théâtre de l’underground, etc.

     

    Mais à ces définitions sérieuses, nous préférons deux définitions plus vivantes : a) théâtre de bavardage (et nous acceptons là la brillante définition de Moravia), b) théâtre du geste et du cri. Précisons tout de suite : le théâtre du bavardage est celui où le bavardage, justement, se substitue à la parole /…/ ; le théâtre du geste et du cri est celui où la parole est complètement désacralisée, voire détruite au bénéfice de la présence physique pure (cf. plus loin). Le nouveau théâtre se définit donc théâtre ‘‘de parole’’ par opposition : au théâtre de bavardage, qui implique la reconstruction d’un milieu et d’une structure spectaculaire naturaliste, faute de quoi les événements (homicides, vols, ballets, baisers, étreintes et coups de théâtre) ne seraient pas représentables. Dire ‘‘Bonne nuit’’ au lieu de ‘‘Je voudrais mourir’’ n’aurait pas de sens parce qu’il y manquerait le climat (les atmosphères) de la réalité quotidienne ; au théâtre du geste et du cri, lequel conteste le premier en faisant table rase de ses structures naturalistes et en ‘‘déconsacrant’’ ses textes, sans toutefois pouvoir en abolir la donnée (de base) fondamentale, c’est-à-dire l’action scénique (qu’il exalte, au contraire). De cette double opposition dérive une des caractéristiques fondamentales du ‘‘théâtre de parole’’ : à savoir (comme dans le théâtre athénien) l’absence presque totale d’action scénique. L’absence d’action scénique implique naturellement la disparition presque totale de mise en scène – lumière, scénographie, costumes, etc. –, tout sera réduit à l’indispensable (puisque, nous le verrons, ce nouveau théâtre ne pourra pas ne pas continuer d’être une forme de rite, et même une forme jusqu’alors jamais expérimentée) : autrement dit, l’illumination et l’extinction des lumières, pour indiquer le début ou la fin de la représentation. Aussi bien le théâtre du bavardage que le théâtre du geste et du cri sont deux produits d’une même civilisation bourgeoise. Tous deux ont en commun la haine de la Parole. Le premier est un rituel où la bourgeoisie se reflète, en s’idéalisant plus ou moins, où en tout cas elle se reconnaît toujours. Le second est un rituel où la bourgeoisie (tout en restaurant à travers sa propre culture anti-bourgeoise la pureté d’un théâtre religieux) se reconnaît en tant que production du même (pour des raisons culturelles), en même temps qu’elle éprouve le plaisir de la provocation, de la condamnation et du scandale (à travers quoi, en définitive, elle n’obtient que la confirmation de ses propres convictions). Le théâtre du geste et du cri est donc le produit de l’anti-culture bourgeoise (l’étonnant Living Théâtre) qui entre en polémique avec la bourgeoisie, retournant contre elle le même processus destructif cruel et dissocié que Hitler (alliant la pratique à la folie) avait mis en œuvre dans les camps de concentration et d’extermination. Si ces deux théâtres (le théâtre du geste et du cri aussi bien que notre théâtre de parole) sont l’un et l’autre les produits des groupes culturels anti-bourgeois de la bourgeoisie, en quoi diffèrent-ils exactement ? En fait leur différence tient à ce que le théâtre du geste et du cri est destiné à la bourgeoisie – même absente – à la bourgeoisie ‘‘scandalisable’’ (sans laquelle ce théâtre ne serait pas concevable /…/), tandis que le théâtre de parole, au contraire, est destiné aux mêmes groupes culturels avancés dont il est le produit. Le théâtre du geste et du cri, dans la clandestinité de l’underground, recherche auprès des destinataires une complicité dans la lutte ou une forme commune d’ascèse ; et donc, tout compte fait, il ne représente, pour les groupes avancés qui le produisent et l’exploitent en tant que destinataires, qu’une configuration rituelle de leurs propres convictions anti-bourgeoises : la même confirmation rituelle que représente le théâtre traditionnel pour le public moyen et normal de leurs propres convictions bourgeoises. Au contraire, dans les spectacles du théâtre de parole, indépendamment des nombreuses confirmations et vérifications qui peuvent s’y produire (auteurs et destinataires n’appartiennent pas pour rien au même milieu culturel et idéologique), prédominera un échange d’opinions et d’idées, dans un rapport qui sera beaucoup plus critique que rituel. [Il faudra donc que l’acteur de théâtre de parole en tant qu’acteur, change de nature : il ne devra plus se sentir, physiquement, porteur d’un verbe qui transcende la culture en une idée sacrée du théâtre : mais il devra tout simplement être un homme de culture. Donc, il ne devra plus fonder son habileté sur le charme personnel (théâtre bourgeois) ou sur une espèce de force hystérique et médiumnique (théâtre anti-bourgeois) en exploitant démagogiquement le désir de spectacle du spectateur (théâtre bourgeois) ou en donnant la priorité au spectateur en lui imposant implicitement de participer à un rite sacré (théâtre anti-bourgeois). Il devra plutôt fonder son habileté sur sa capacité de comprendre vraiment le texte. Et ne pas être interprète en tant que porteur d’un message (le Théâtre !) qui transcende le texte : mais être véhicule vivant du texte lui- même. L’acteur devra devenir transparent sur la pensée, et il sera d’autant meilleur que, en l’entendant dire le texte, le spectateur comprendra que l’acteur a compris.]

     

    Destinataires et spectateurs. Sera-t-il possible qu’il y ait coïncidence, au plan pratique, entre destinataires et spectateurs ? Nous croyons que les groupes culturels avancés de la bourgeoisie, en Italie, peuvent désormais constituer un public valable, et produire précisément un théâtre émanant d’eux (leur propre théâtre) ; autrement dit, le théâtre de mots constitue, dans le rapport de l’auteur et du spectateur, un fait absolument nouveau dans l’histoire du théâtre. Et en voici les raisons : le théâtre de mots est – comme nous l’avons vu – un théâtre possible demandé et apprécié dans le cadre strictement culturel des groupes avancés d’une bourgeoisie. En conséquence, il représente l’unique voie de la renaissance du théâtre dans une nation où la bourgeoisie est incapable de produire un théâtre qui ne soit pas provincial et académique, et dont la classe ouvrière est absolument étrangère au problème (les possibilités qu’elle a de produire à l’intérieur de son milieu un théâtre ne sont guère que théoriques : théoriques et rhétoriques, d’ailleurs, comme le démontrent bien toutes les tentatives de ‘‘théâtre populaire’’ visant à atteindre directement la classe ouvrière). Le théâtre de parole qui, comme nous l’avons vu, passe outre toute possibilité de rapport avec la bourgeoisie et ne s’adresse qu’aux groupes culturels avancés, est le seul à pouvoir atteindre réellement, sans parti pris ni rhétorique, la classe ouvrière. Car celle-ci est liée par un rapport direct aux intellectuels (de ces groupes) avancés. /…/ Qu’il n’y ait aucun malentendu ! Il ne s’agit pas d’évoquer ici l’ancien ouvriérisme dogmatique, stalinien, /…/ ou quoi qu’il en soit conformiste. Ce qui est évoqué ici, ce serait plutôt la grande illusion de Maïakovski, d’Essenine et des autres grandes figures émouvantes de la jeunesse de cette époque qui ont participé à la même œuvre. C’est à eux que nous dédions idéalement notre nouveau théâtre. /…/

     

    Le rite théâtral. Le théâtre est de toute façon, en tout cas, en tout temps et en tout lieu un RITE. Sémiologiquement, le théâtre est un système de signes, lesquels signes, non symboliques mais iconiques, vivants sont les mêmes que ceux de la réalité. L’archétype sémiologique du théâtre est donc le spectacle qui se déroule chaque jour devant les yeux et à la portée de nos oreilles, dans la rue, chez nous, dans les lieux publics, etc. En ce sens la réalité sociale est une représentation qui n’est pas du tout privée de la conscience de l’être et qui a donc ses codes (règles de bonne éducation, de comportement, techniques, corporelles, etc.), en un mot la réalité sociale n’est absolument pas privée de la conscience de son propre rituel. L’archétype rituel du théâtre est donc un RITE NATUREL. Idéalement, le premier théâtre qui se distingue du théâtre de la vie est de caractère religieux : chronologiquement la naissance du théâtre comme ‘‘mystère’’ ne peut pas être datée. Mais elle se répète en tout cas dans toutes les situations historiques, ou mieux, préhistoriques, analogues. A toutes les époques ‘‘originelles’’, ‘‘obscures’’ ou ‘‘moyenâgeuse’’. Le premier rite du théâtre, comme rite propitiatoire, conjuratoire, comme mystère, orgie, danse magique, etc., est donc un RITE RELIGIEUX. La démocratie athénienne a inventé le plus grand théâtre du monde – en vers – et l’a institué comme RITE POLITIQUE. La bourgeoisie – en même temps qu’elle faisait sa première révolution protestante – a créé en retour un nouveau théâtre (dont l’histoire commence peut-être avec le théâtre de l’art, mais certainement avec le théâtre élisabéthain et celui de l’âge d’or du théâtre espagnol, jusqu’à nos jours). Dans le théâtre inventé par la bourgeoisie (tout de suite réaliste, ironique, d’aventure, d’évasion, et comme nous dirions aujourd’hui qualunquista [qualunquista – ‘‘L’homme quelconque’’ – désigne une prétendue indifférence à la vie politique et sociale : apolitisme] même s’il s’agit de Shakespeare ou de Calderon), la bourgeoisie célèbre le plus haut de ses rites mondains – théâtre poétiquement sublime parfois, du moins jusqu’à Tchekhov, c’est-à-dire jusqu’à la deuxième révolution bourgeoise, libérale. Le théâtre de la bourgeoisie est donc un RITE SOCIAL. Avec le déclin de la ‘‘Grandeur révolutionnaire’’ de la bourgeoisie (à moins que l’on veuille également considérer la grandeur – à juste titre peut-être – de sa troisième révolution, cette fois technologique), la grandeur de ce RITE SOCIAL entre à son tour en déclin. De sorte que, si, d’une part, un tel rite social survit, grâce à l’esprit de conservation de la bourgeoisie, de l’autre, il acquiert une conscience nouvelle de son propre rituel. Conscience qui paraît être vraiment acquise – comme nous l’avons vu – par le théâtre bourgeois anti-bourgeois, lequel, en s’en prenant furieusement au théâtre officiel de la bourgeoisie et à la bourgeoisie elle-même, prend comme cible son caractère officiel, son establishment et au fond son manque de sens religieux. Le théâtre de l’underground – nous l’avons déjà dit – cherche à récupérer les origines religieuses du théâtre, en tant que mystère orgiaque et violence psychagogique : toutefois, dans une telle opération, l’esthétisme non filtré de la culture fait en sorte que le contenu réel de cette religion soit le théâtre lui-même, de même que le mythe de la forme est le contenu de tout formalisme. On ne peut pas dire que la religion violente, sacrilège, obscène, dé-sacrante-consacrante du théâtre du geste et du cri, soit privée de contenu, inauthentique, car elle est effectivement pleine, parfois, d’une authentique religion du théâtre. Le rite d’un tel théâtre est donc RITE THEÂTRAL.

     

    Le théâtre de mots et le rite. Le théâtre de mots ne reconnaît absolument aucun des rites ci-dessus énumérés comme siens. Il se refuse avec rage, indignation et nausée, à être un RITE THEÂTRAL, autrement dit à obéir aux règles d’une tautologie [pléonasme] issue d’un esprit religieux archéologique, décadent, culturellement vague, et que la bourgeoisie peut récupérer facilement, à travers le scandale même qu’il prétend susciter. Il se refuse à être un RITE SOCIAL de la bourgeoisie : pire, il ne s’adresse pas à la bourgeoisie, il l’exclut, en lui claquant les portes au nez. Il ne peut pas être non plus le RITE POLITIQUE de l’Athènes aristotélicienne, avec ses ‘‘multitudes’’ qui étaient à l’époque quelques dizaines de milliers de personnes et toute la cité, contenue dans son extraordinaire théâtre social en plein air. Il ne peut être, enfin, RITE RELIGIEUX, parce que le nouveau moyen âge technologique semble l’exclure, en tant que différent du point de vue anthropologique, de tous les moyens âges précédents… S’adressant aux ‘‘groupes culturellement avancés de la bourgeoisie’’ et donc à la classe ouvrière la plus consciente, au moyen de textes fondés sur la parole (si besoin poétique) et de thèmes qui pourraient très bien être ceux d’une conférence, d’une réunion idéale ou d’un débat scientifique, le THEÂTRE DE MOTS naît et opère dans l’espace de la culture. Son rite ne peut se définir que comme RITE CULTUREL. « 

    Manifeste pour un nouveau théâtre, Pier Paolo Pasolini, 1968.


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  • ANIMA  et TERRIBILITA

    PRÉSENTENT

     

     DOUBLE PRISME

    Le 29 Novembre 2019 au Périscope de Nîmes

    4 rue de la Vierge, 30000 Nîmes

    Gance et Artaud  à la fracture du  muet et du parlant 2019

     

     

    Une séance conçue et animée par Elodie Tamayo et Virginie Di Ricci

    Scénographie de Jean-Marc Musial — Labo Terribilità

    Théâtre Le Périscope | 10/8 € | 20h (ouverture des portes 19h30)


    « Dans l’esprit des séances de studio d’avant-garde des années 20 et à partir d’extraits rarement montrés, Elodie Tamayo et Virginie Di Ricci convoquent de manière prismatique les points de vue des deux créateurs et théoriciens confrontés à la transition du cinéma muet au parlant.

    La collaboration de Gance et Artaud se cristallise dans des formes tant denses que fugaces, elles ont l’éclat d’une coupe, d’un surgissement et répondent à une quête chère à Gance : la recherche des formes paroxystiques, des apparitions, des épiphanies. Ses films monstres témoignent de cette recherche de pics d’intensité tant psychiques que plastiques.

    Artaud, lui, perçoit le cinéma du futur comme l’hallucination subie, la copie confuse et bruyante du réel, là où le cinéma muet était porteur d’emblée de toutes les fantasmagories poétiques, – non pas les choses mais ce qu’il y a sous les choses, dans un principe embryonnaire mais tourné vers la virtualité. »

    "J'aime le cinéma. J'aime tous les genres de films.

    Mais tous les genres de films sont encore à créer."

    Antonin Artaud

     

    Elodie Tamayo, conférencière, enseignante chercheuse en cinéma, spécialiste d’Abel Gance

    Virginie Di Ricci , actrice, performeuse et dramaturge 

    Jean-Marc Musial, metteur en scène et scénographe

     

       *

      "Quand Antonin Artaud rencontre Abel Gance par l'intermédiaire de Louis Nalpas, son cousin
    et producteur de cinéma, immédiatement l'entente est totale et Abel Gance promet à Artaud le rôle
    de Marat pour son projet faramineux « Napoléon » dans lequel il joue lui-même le rôle de Saint-
    Just.
       En 1927, Artaud écrit Sorcellerie et Cinéma, et pose le cinéma comme l'équivalent moderne de la
    sorcellerie dont la puissance magique peut agir dans la réalité et dans les esprits. Il nous plaît
    d'imaginer la ferveur avec laquelle Gance et Artaud ont dû échanger à propos des puissances du
    cinéma à renverser la fatalité du réel.
      Pourtant en 1933, il écrit « La vieillesse précoce du cinéma », éloge funèbre à cet art qui ne lui aura finalement pas donné le rôle De Roderick dans La Chute de la maison Usher de Jean Epstein, en témoignent des lettres à son ami Abel Gance, rôle pour lequel il s'est battu et qui lui était dû.
       Après Napoléon, Artaud joue également dans deux autres films d'Abel Gance : dans la version
    sonore de 1932 de Mater dolorosa et dans Lucrèce Borgia en 1935. Leur correspondance témoigne
    de la profonde admiration d'Artaud pour le cinéaste auprès duquel il veut travailler comme assistant à la mise en scène. Car à cette époque Antonin Artaud non seulement s'investit en tant qu'acteur dans le cinéma français et allemand – il joue dans 22 films – mais il écrit des scénarios, envisage de créer sa propre boîte de production de courts métrages et surtout pense le cinéma et son devenir au contact des plus grands cinéastes de son temps : Claude-Autant Lara, Marcel Lherbier, Theodor Dreyer, Wilhelm Pabst, Fritz Lang. Dans ses interviews pour Cinémonde ou Comoedia, il insiste souvent sur la qualité du cinéma allemand où les recherches sur la lumière lui semblent pionnières et où le jeu des acteurs (Peter Lorre par exemple) issus le plus souvent du théâtre lui paraît bien meilleur, plus authentique que dans le cinéma français.
     

       Mais, tous deux se trouvent confrontés à l'arrivée du cinéma parlant et Antonin Artaud n'a de cesse de déclarer que le cinéma muet, cet art exclusif des images pures, est un art à part entière au même titre que la musique, la peinture ou la littérature et que sa spécificité tient dans sa capacité à restituer des impressions psychiques obscures que nul autre art n'est à même de toucher. Il s'inquiète aussi de la localisation du son dans l'image et surtout de la disparition de l'ancrage de la voix dans le corps de l'acteur. Il voit avec dégoût et décrit avec humour l'arrivée du « Dubbing » en provenance de l'Amérique qui ravale les acteurs français au rang d'esclaves d'une langue et de lèvres commerciales. Il redoute avec l'arrivée du cinéma parlant et en couleur, la venue d'un art des foules qui absorberait tous les autres et tomberait fatalement dans les mains des froussards capitalistes avides d'un gros public. C'est la survie du théâtre qui est ici aussi en jeu.
    Il perçoit le cinéma du futur comme l'hallucination subie, la copie confuse et bruyante du réel, là où le cinéma muet était porteur d'emblée de toutes les fantasmagories poétiques, - non pas les choses mais ce qu'il y a sous les choses, dans un principe embryonnaire mais tourné vers la virtualité".


        Et si hors-cadre il y a, et il y aura, alors ce sera du théâtre et de la cruauté.
     

    __Virginie Di RICCI

     

    *

     

    « La collaboration entre Abel Gance et Antonin Artaud se cristallise dans des formes tant denses que fugaces, elles ont l’éclat d’une coupe, d’un surgissement, et répondent à une quête chère à Gance : la recherche des formes paroxystiques, des apparitions, des épiphanies.

    Dans les années 20, Gance découpait ses films en fragments pour en montrer les séquences les plus pures dans les salles d’avant-garde. Ses films témoignent de cette recherche de pics d’intensités tant psychiques que plastiques. Exemplairement pour sa Fin du monde en 1929 Gance faisait le vœu que « chaque plan devienne comme une sorte de dynamite qui fasse sauter les charnières de la pensée normale », répondant à la « déperdition constante du niveau normal de la réalité » que décrivait Artaud dans son Pèse-nerfs. Ainsi lorsque Artaud traverse la toile dans les films de Gance : c’est pour brûler l’écran, le saturer de lumière et de cris, le crever et s’y sacrifier.

    Ensemble, Gance et Artaud connaîtront la transition technique du muet au sonore et seront confrontés à la redéfinition de leur art, à la nécessité de réinventer une autre langue, et de défier les pièges du verbe et du logos. Le cri, le bruit et la musique venant alors à leur secours.

    Le programme proposé s’accorde à ces formes fragmentaires, à ces brûlures qui caractérisent les recherches de Gance cinéaste et d’Artaud poète. La séance se donne sous la forme d’un bout-à-bout et d’un montage d’éléments paroxystiques tant filmiques que théoriques.

    La collaboration de Gance et Artaud tient en effet tant aux films qui les unissent qu’aux réseaux de textes et de déclarations qui les lient. En 1930, le cinéaste fait paraître Prisme, un recueil de pensées, d’aphorismes et de notes sur le cinéma et les facultés psychiques de l’homme à accéder à une quatrième dimension. Un prisme qu’il s’agira de faire tourner, pour multiplier les points de contacts entre Abel Gance et Antonin Artaud. »

    — Elodie TAMAYO

     

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  • La réalité virtuelle est elle encoreRéalité virtuelle du cinéma ? 


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  • SADE-CHARENTON, LES LARMES DE SANG

    Création théâtrale Festival des Arts émergents de Turin 2000

    Mise en scène et Scénographie : Jean-Marc Musial - Dramaturgie : Jean-Marc Musial et Virginie Di Ricci. JUSTINE : Stéphanie CLIQUENNOIS /JULIETTE : Virginie DI RICCi / CLAIRWIL : Françoise BERLANGER / FLORBELLE : Bruno MARIN / L’ABBÉ CHABERT : Franck ANDRIEUX / L’ INSPECTEUR MARAIS : Hugues CHAMART / Son : Guillaume CARLIER, David BAUSSERON / Perche sonore : Jean-Marc MUSIAL / Lumière : Patrick BOURNY / Directeur technique vidéo : Vincent FOUCKE / Régisseur vidéo directe : Jérôme BETRANCOURT / Cadreurs en direct : François MATHON, Tristan SENET.

     

    Sade-Charenton, les larmes de sang


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  •       ° Introduction à la Théorie de la forme pure au théâtre - Witkacy B. Pour un nouveau type d'art théâtral.
                                       

     

    Le théâtre, qui est, comme la poésie, un art composite contient davantage encore

    d'éléments inessentiels et c'est pourquoi il est beaucoup plus difficile d'imaginer une

    forme pure sur la scène, indépendante des actions humaines en son essence.

    Je crois pourtant que ce n'est pas tout à fait impossible. Tout comme il a existé, dans les arts

    plastiques une époque où la forme pure et le contenu métaphysique de la sensibilité

    religieuse formaient un tout unique, il y eut aussi une époque où le devenir scénique et

    le mythe réalisèrent une unité semblable. La forme et le contenu de notre peinture et

    de notre sculpture, le contenu de leurs objets, qu'ils soient fantastiques ou proches du

    réel, ne sont qu'un prétexte à la création sans aucun lien direct avec elle, une sorte de

    doping pour le mécanisme esthétique portant l'artiste à une certaine tension créatrice.

    Je pense donc qu'on peut envisager un art théâtral dans lequel le devenir lui-même –

    indépendamment des images intensifiées qu'il donne de la vie – peut porter le

    spectateur vers un état de compréhension métaphysique, de réceptivité aux sentiments

    métaphysiques, que le fond de l'oeuvre soi fantastique ou réaliste ou encore une

    synthèse de ces deux genres. Mais cela suppose évidemment que toute la pièce prenne

    sa source en un besoin sincère de susciter scéniquement de tels sentiments avec la

    forme appropriée. Et que l'essentiel de l'oeuvre ne réside pas uniquement en son

    contenu réel ou fantastique mais que, par la synthèse de tous les éléments théâtraux

    (sons, décors, mouvements scéniques, texte) il puisse s'édifier librement, sans référence

    nécessaire au monde réel ; Il faut pouvoir librement et totalement déformer la vie et le

    monde fantastique pour créer une unité dont le sens serait fourni par son architecture

    interne et scénique et non par les exigences de la psycholoie ou de l'action en fonction

    de la vie, ces dernières exigences n'étant valables que pour les oeuvres qui se veulent

    une reproduction amplifiée de la réalité ; Je ne veux pas dire apour autant que l'oeuvre

    théâtrale doive être à tout prix absurde mais seulement qu'elle ne soit plus freinée par

    les modèles actuels, fondés sur le sens vital ou les règles du fantastique. Les comédiens

    ne devraient pas exister en tant que tels mais comme éléments d'un ensemble, au même

    titre que telle tache de couleur rouge en tel tableau.

    La pièce envisagée peut prendre toutes les libertés qu'elle veut à l'égard du réel.

    Il suffit que cette liberté – et les absurdités apparentes qu'elle entraîne – soit justifiée et

    conduise vers la dimension psychique où il est primordial d'introduire le spectateur. Je

    ne suis pas pour le moment en mesure de donner un exemple précis d'une telle pièce.

    Je veux seulement marquer ici la possibilité d'en créer une par le dépassement des

    préjugés révolus.

    Admettons donc que quelqu'un écrive une telle pièce. Le public devra s'y

    habituer comme il s'habitue aux mollets déformés des tableaux de Picasso. On peut

    imaginer un tableau uniquement fait de formes abstraites qui, à moins qu'on ne les

    suscite soi-même à tout prix, n'impliqueront aucune référence aux formes du monde

    extérieur. Par contre, on ne peut imaginer une oeuvre identique au théâtre car le

    devenir pur dans le temps n'est possible que dans la sphère des sons et des couleurs.

    On ne peut concevoir d'oeuvres théâtrales sans interventions et sans actions de

    personnages – fussent-ils les plus farfelus ou les plus monstrueux – car le théâtre est un

    art composite qui ne possède pas, comme la peinture ou la musique, d'éléments ou de

    matériaux autonomes. Le théâtre actuel donne l'impression d'un art désespéremment

    bouché qui ne peut éclater qu'en y introduisant ce que j'ai appelé le fantastique de la

    psychologie et du comportement. La psychologie des personnages et leur

    comportement doivent être un prétexte à une pure succession d'événements.

    L'essentiel, c'est que la continuité psychologique des personnages et celle de leur

    comportement ne soit plus ce cauchemar qui pèse de tout son poids sur l'architecture

    des pièces. On en a plus qu'assez, à mon sens, de ce règne maudit des caractères, de

    cette pseudo-vérité psychologique qui donne à tous la nausée . En quoi ce ui se passe

    dans la rue Wspolna n°38, appartement 10 ou dans quelque château enchanté ou dans

    quelque époque lointaine, peut-il nous intéresser ? Nous souhaitons, au théâtre,

    pénétrer dans un monde radicalement différent où les événements, découlant de la

    psychologie ds personnages – qu'ils soient vraisemblables ou erronés – les jeux

    d'éclairage, les changements de décor, l'accompagnement musical, doivent s'imposer

    comme nécessaires et provoquer, par la singularité de leur enchaînement, un devenir

    temporel libéré de toute logique, à l'exception de celle de la forme même de ce devenir.

    A cette nécessité peut aussi s'adjoindre la possibilité de modifier le psychisme des

    personnages en faisant abstraction de la logique de leurs comportements. Cette

    psychologie « fantastique » devra s'imposer avec la même évidence que les mollets

    cubiques des peintures de Picasso.

    Les gens qui rient devant les déformations de telle ou telle peinture

    contemporaine riront aussi évidemment devant le psychisme incompréhensible des

    personnages sur la scène. Mais il me paraît possible de résoudre ce problème – comme

    il le fut, relativement pour la musique et la peinture contemporaines – en essayant de

    mieux comprendre l'essence de l'art moderne et de s'habituer aux oeuvres nouvelles.

    Ceux qui ont compris l'art pur en peinture ne peuvent plus regarder les autres

    tableaux comme auparavant. De même, ceux qui se seraient faits à ce nouveau théâtre

    ne pourront que difficilement supporter les oeuvres réalistes ou lourdement symbolistes

    d'aujourd'hui. En peinture, nous avons maintes fois vérifié ce phénomène sur des gens

    qui semblaient au début incapable de comprendre la forme pure et qui, après une

    certaine initiation, purent formuler sur les oeuvres modernes des jugements

    remarquablement pertinents. Peut-être y a-t'il dans ce raisonnement une certaine dose

    de perversité mais pourquoi aurions-nous peur de la perversité dans le domaine de

    l'art ? Les perversions sont choses pénibles dans la vie mais peut-on transférer au

    domaine de l'art des jugements qui ne concernent que la vie ?

    La perversion en art (par exemple, le déséquilibre des masses dans la

    composition, la désharmonie des couleurs en peinture) est un moyen, non un but. C'est

    pourquoi elle est étrangère à la morale puisque le but qu'elle permet d'atteindre –

    l'unité dans la pluralité de la forme pure – ne saurait lui-même être jugé selon les

    critères du bien et du mal. Avec le théâtre la chose se passe un peu différemment

    puisque ses éléments constitutifs sont des êtres vivants et agissants.

    Une pièce répondant aux exigences que nous avons définis ne serait réalisable

    que si un large public en ressentait lui-même le besoin et si les auteurs susceptibles de

    l'écrire étaient portés spontanément par la même exigence. Si elle n'est qu'une sorte de

    « non sens programmé » conçu à froid, artificiel, sans nécessité, elle provoquera

    inévitablement le rire, comme ces tableaux dont les objets sont déformés sans raison

    par les peintres, qui ne les exécutent que pour des raisons commerciales ou pour épater

    le bourgeois. Les formes abstraites et pures sont nées en peinture en payant un tribut

    nécessaire à la déformation des objets et des êtres du monde extérieur. De même, la

    forme pure ne peut naître au théâtre qu'au prix d'une déformation identique de la

    psychologie et du comportement des personnages. Il faut que l'oeuvre soit

    complétement libérée de tout souci de fidélité, d'exactitude à l'égard des données de la

    vie, mais par contre il lui faut être d'une précision scrupuleuse dans les liaisons de

    l'action et de la construction formelle.

    La tâche consistera donc à meubler le temps d'un devenir scénique possédant sa

    propre logique, sans aucune dépendance à l'égard du réel. L'exemple imaginé

    ridiculisera peut-être ma théorie, déjà suffisamment ridicule (voire absurde ou

    révoltante) pour certains, mais je la proposerai malgré tout.

    Trois personnages habillés de rouge entrent en scène et saluent on ne sait qui.

    Une de ces personnes récite un poème (qui doit apparaître à cet instant comme

    indispensable). Entre un vieillard à l'expression douce menant un chat au bout d'une

    laisse. Tout cela se déroule sur un fond de rideau noir ; Ce dernier s'ouvre et découvre

    un paysage italien tandis que retentit une musique d'orgues. Le vieillard s'adresse aux

    personnages déjà en scène, leur dit quelque chose en accord avec l'ambiance qui

    précède. Un verre tombe d'une table ; Tout le monde se jette à genoux et pleure. Le

    vieillard se mue alors en un fauve déchaîné et assassine une petite fille qui vient juste

    d'entrer en scène en rampant du côté jardin. Sur ce, un beau jeune homme fait

    irruption, remercie le vieillard du crime qu'il vient d'accomplir et les personnages en

    rouge se mettent à chanter et à danser. Après quoi, le jeune homme sanglote près du

    cadavre de la petite fille en disant des choses très drôles et très gaies. Le vieillard

    reprend alors son apparence première d'homme doux et bon et rit dans un coin en

    prononçant des phrases simples et sublimes.

    Les habits peuvent être au choix, de style ou entièrement fantaisistes. La

    musique peut jouer à certains moments. Est-ce une maison de fous ou le cerveau d'un

    fou sur la scène. Il se peut, mais avec cette méthode, il est possible, en écrivant

    sérieusement une pièce de ce genre et en la présentant avec la rigueur nécessaire, de

    créer des spectacles d'une beauté jamais rencontrée jusqu'alors, grâce à ce style

    nouveau qui ne rappelle rien de ce qui a été fait.

    En sortant du théâtre, le spectateur devrait avoir l'impression d'émerger d'un

    rêve étrange dans lequel les choses les plus banales ont un charme inexplicable, ce

    charme incomparable que seuls possèdent les rêves. Aujourd'hui, le spectateur quitte

    le théâtre avec un sentiment de dégoût ou l'âme bouleversée par l'horreur biologique

    ou sa sublimité ou bien encore, furieux d'avoir été « eu » par des trucs ; quels que

    soient ces genres, le théâtre actuel ne donne presque jamais l'impression d'un monde

    fondamentalement différent, ouvrant sur une beauté purement formelle ; certaines

    oeuvres d'auteurs anciens contiennent parfois des moments de cette nature et on ne

    saurait le nier sans faire preuve d'une partialité diabolique. On les trouve dans

    certaines pièces de Shakespeare et de Slowaki mais jamais dans leur forme pure et

    c'est pourquoi ces oeuvres, en dépit de leur grandeur, ne donnent pas l'impression

    recherchée.

    Le point culminant ou le dénouement d'une telle pièce peuvent ne pas satisfaire

    ce que j'appelle la « tension de nos tripes » , tension qui explique le succès des pièces

    d'aujourd'hui. Il faut totalement oublier ces habitudes néfastes – ce besoin de suspens

    – par exemple – pour pénétrer dans ce monde nouveau qui ne nous concerne pas

    vitalement, pour pouvoir vivre un drame métaphysique, comme celui que suscitent les

    notes d'une symphonie ou d'une sonate ; le dénouement ne peut être la solution ou la

    résolution d'un problème vital mais le déliement d'un noeud formel, sonore, plastique

    ou psychologique, libre de toute référence au réel.

    Evidemment, ceux qui ne comprennent rien à l'essence de l'art pourront là

    encore me reprocher l'apparence totalement gratuite d'une telle oeuvre ; Pourquoi trois

    personnages et pas cinq ? Pourquoi sont-ils en rouge et non en vert ? Bien qu'il ne soit

    pas possible de justifier logiquement la nécessité de tel nombre ou de telle couleur, ces

    éléments devront pourtant apparaître comme nécessaires, comme ils le sont toujours

    en toute oeuvre véritablement composée et structurée. Et son dénouement doit

    apparaître si évident qu'il soit exclu d'en imaginer de différent. J'affirme que si une

    telle pièce est écrite avec sincérité, elle s'imposera nécessairement au spectateur.

    J'ai déjà dit qu'au théatre, le problème de la forme pure est beaucoup plus ardu

    que dans les autres arts, parce que, comme l'a dit un « connaisseur », le public fait

    partie du spectacle lui-même et la pièce doit être rentable. Mais je pense que tôt ou

    tard, le théâtre prendra la voie de l'inassouvissement de la forme, qu'il a négligé

    jusqu'à présent. Je suis persuadé qu'on pourra créer des oeuvres exceptionnelles du

    point de vue de la forme pure et qu'on cessera d'avoir affaire à une pseudo-rénovation

    du théâtre, à la répétition nauséeuse d'un répertoire révolu. Il faut libérer la « bête

    endormie » et voir ce qu'elle va faire. Si elle devient enragée, il sera temps de l'abattre.

    1920


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  •  

    "Van Gogh le suicidé de la société" d'Antonin Artaud

    "dans un monde où on mange chaque jour du vagin cuit à la sauce verte". 

    Dramaturgie et Jeu : Virginie Di Ricci

    Scénographie / Lumière / Mise en scène : Jean-Marc Musial

     

     

     ©Crédits photographiques Thierry Tiko Lefebvre - 



                       

                  Création au Théâtre des Nuits Blanches Lille 1999

                 Espace Pier Paolo Pasolini de Valenciennes  - 2000

                    

                                                       -

     

      

          Théâtre Confluences Paris  2014

    Reprise à Gare au théâtre - Festival Nous n'irons pas à Avignon -

    du 23 au 27 juillet 2014. 

     -

    DRAMATURGIE ET JEU :

    Virginie Di Ricci

    SCÉNOGRAPHIE, MISE EN SCÈNE,  LUMIÈRE :

    Jean-Marc Musial  

    RÉGIE PLATEAU

    David Bausseron

    PRODUCTION /ADMINISTRATION:

    TERRIBILITA 

     

    Production :

    TERRIBILITA avec le soutien de R.A.V.I.V (Partage d'espace de répétitions), de Confluences   - Coréalisation : Festival Nous n'irons pas en Avignon Gare au théâtre (Vitry / Seine).

    "Van Gogh le suicidé de la société" d'Antonin ARTAUD © Editions Gallimard

     

    Champs de blé aux corbeaux - van Gogh -  Auvers 1890 

     

    "Deux ou trois têtes de vieillards de fumée risquent une grimace d'apocalypse, mais les corbeaux de van Gogh sont là qui les incitent à plus de décence, je veux dire à moins de spiritualité."

    Antonin Artaud

    "Van Gogh le suicidé de la société"

     

     

    Antonin Artaud - Lettre à André BRETON Février 1947
    "Et je sais bien qu'un tableau de Van Gogh met par terre toute la cosmographie, toute l'hydrographie, toute la science des éclipses, des équinoxes et des saisons, mais je voudrais bien le voir ailleurs que dans les salles de l'orangerie où,
      exposé
       l'objet est
            émasculé,

     

     

     

    "Il y a quelque chose au dedans de moi, qu'est ce que c'est donc ? Les hommes sont souvent  dans l'impossibilité de rien faire, prisonnier de je ne sais quelle cage horrible, horrible, très horrible ...On ne saurait toujours dire ce que c'est qui enferme, ce qui mure, ce qui semble enterrer, mais on sent pourtant je ne sais quelles bornes, quelles grilles, des murs... et puis on se demande: Mon dieu, est-ce pour longtemps, est-ce pour toujours, est-ce pour l'éternité?  "

    Vincent Van Gogh-Lettre à Théo - juillet 1880

     

    -"Je veux faire aux pauvres un message fraternel. Quand je signe Vincent, 

     c'est comme si je les tutoyais." (Van Gogh 1880-1882)

     

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------

     

    En répétitions du 5 au 18 août 2013 à Confluences (Paris)

    et du 19 au 25 août 2013 à Gare au Théâtre (Vitry-sur-Seine).

     Avec le soutien de RAVIV,  

    dans le cadre du Partage d’espaces de travail et de répétitions 2013.

    Van Gogh le suicidé de la société d'Antonin Artaud Extraits

     

    et du 30 décembre 2013 au 4 janvier 2014 au Théâtre de Gennevilliers. 

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

     

    Van gogh le suicidé de la société

    La chambre de Vincent -©Dessin JM Musial 2012

     

     


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  • Deux présentations en avant-premières de

    "Van Gogh le suicidé de la société" d'Antonin Artaud

     

    ont eu lieu

    à Confluences - Paris 20ème 

    - lundi 6 et mardi 7 janvier 2014 à 19h30  - 

    Manière de mettre à l'épreuve de regards singuliers ce premier jet théâtral

    "dans un monde où on mange chaque jour

    du vagin cuit à la sauce verte". 

     Merci d'être venus 

    Avant-première

    Avant-première van Gogh Confluences 

     

     

     

     

     

     

     

    Photo Jm Musial -  Scénographie  Confluences janvier 2014.

    -

    Dramaturgie et Jeu :

    Virginie Di Ricci

    Scénographie, Mise en scène, lumière/son/Image, et Régie directe :

    Jean-Marc Musial  

    Production :

    Terribilità

     

     

    Remerciements particuliers :

    Aelters, Hnz Adrzn, Arp Alias, David Bausseron, Louise Bronx, Barbie Rooza, Angela Di Vicenzo, Mirabelle Rousseau, Esther Silber, Seb (DigitalVandal).


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  •  

    A MÊME LE RITE DE LA DEVORATION DU SOLEIL NOIR

     

    Chère Virginie Di Ricci, 

    Que garde un spectateur après cette magnifique, touchante et très émouvante représentation de ce VINCENT VAN GOGH LE SUICIDE DE LA SOCIETE ?Là où TOUTE L'OEUVRE n'est que la mise en mots, en phrases, en scènes, en signes d'Antonin Artaud par lui-même, corps et être jusqu'au supplice... 

     

    Et bien, je crois, qu'après les vagues d'applaudissements qui clôturent la représentation, commence l'avalement du miracle et de ses fragments propre au théâtre en chacun... une sorte de dévoration des êtres entre eux dans le gouffre de la conscience... 

     

    Et cette  SAINTE COMMUNION a eu lieu ce mardi 7 janvier 2014 dans ce boîtier noir de l'espace de Confluences... 

     

    Là où on a dévoré l'ÊTRE-ACTRICE-ARTAUD-DI RICCI... 

     

    De FILLE DU FEU  en FILLE DE COEUR parmi les rares, les très rares de l'excellence... comme lors de cette apparition d'un corps de lumière incarnée derrière cette plaque vitreuse et oblique qui devient énigme de lumière vraie... ce foudroiement où surgit Virginie Di Ricci  traversée par l'emportement des signes dans cette fusion-bûcher des flammes invisibles qui se métamorphose en ce papillon de fond d'espace agitant ses deux ailes immenses de toile noire fendue dans un instant d'extraordinaire vérité... 

     

    Et donc, comme une étoile apparue qui restera dans la constellation intérieure de chacun...

    José GALDO  le 11 janvier 2014

     http://www.poethique.org/pages/poetes-contemporains/galdo-jose.html

     

    Cher José Galdo,
    Un fragment du miracle fut que vous soyez là,   et que vous m'en restituiez l'impact avec une telle profondeur sensible. Ce qui est lancé - le poème d'Antonin Artaud - et sa déflagration, je n'en suis pas indemne - la dévoration dont vous parlez a bien lieu pour l'acteur aussi. Alors un message de vous apporte un soulagement à cette cruauté d'être soi-même avalé. Apporte un sens secret  à faire du théâtre vrai et invite à ne pas lâcher. Les énigmes de la lumière que vous avez captées sont au cœur de la mise en scène, de l'unité ; là où l'unique, l'acteur, n'est qu'un mal voyant en passe d'aveuglement complet.  

    Amitiés,Virginie Di Ricci

    Réponse-poème de José Galdo

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent van Gogh
    Le grand paon de nuit, 1889
    Huile sur toile, 33,5 x 24,5 cm
    Musée Van Gogh, Amsterdam

     


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  • CYCLE SATAN TRISMEGISTE De Pacôme Thiellement

    Mardi 10 Décembre 2013 au Monte-en-l'air à 19h30 :

    SOIREE ARTAUD avec Virginie Di Ricci


    Virginie Di Ricci est actrice, dramaturge et monteuse d'images au coeur de Terribilità. Antonin Artaud, S.I. Witkiewicz, D.A.F. de Sade, Pier Paolo Pasolini, les romains du Ier siècle, Laure et Bataille sont les écritures qu'elle a traversées en scène, une scène toujours à réinventer dans la continuité et l'archéologie de ses grands réformateurs, Craig, Appia, Meyerhold, Kantor et dont Antonin Artaud est l'une des figures les plus obsédantes.

     Au Monte-en-l'air, dans le cadre de la résidence SATAN TRISMEGISTE de Pacôme Thiellement , elle évoquera l'existence d'un théâtre dans l'Egypte ancienne et comment Antonin Artaud en fut l'inventeur (+ Lecture d'extraits des Derniers cahiers d'Ivry).

     

    Création en cours THEATRE

     


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  •  

    Février 1890 

    Cher Monsieur Aurier,

    Merci beaucoup de votre article dans le Mercure de France, lequel m’a beaucoup surpris. Je l’aime beaucoup comme oeuvre d’art en soi, je trouve que vous faites de la couleur avec vos paroles ; enfin dans votre article je retrouve mes toiles mais meilleures qu’elles ne le sont en réalité, plus riches, plus significatives. Pourtant je me sens mal à l’aise lorsque je songe que plutôt qu’à moi ce que vous dites reviendrait à d’autres. Par exemple à Monticelli surtout. [...] Ensuite je dois beaucoup à Paul Gauguin avec lequel j’ai travaillé durant quelques mois à Arles et que d’ailleurs je connaissais déjà à Paris.

                        

    peinture,van gogh,saint-rémy

      Au prochain envoi que je ferai à mon frère  j’ajouterai une étude de cyprès pour vous  si vous voulez bien me faire le plaisir de  l’accepter en souvenir de votre article. J’y  travaille encore dans ce moment, désirant  y mettre une figurine.

     Le cyprès est si caractéristique au paysage  de Provence. Jusqu’à présent je n’ai pas pu  les faire comme je le sens ; les émotions  qui me prennent devant la nature vont    chez moi jusqu’à l’évanouissement et alors  il en résulte une quinzaine de jours  pendant lesquels je suis incapable de    travailler. Pourtant, avant de partir d’ici, je  compte encore une fois revenir à la charge  pour attaquer les cyprès. L’étude que je  vous ai destinée en représente un groupe  au coin d’un champ de blé par une journée  de mistral d’été. C’est donc la note d’un  certain noir enveloppé dans du bleu  mouvant par le grand air qui circule, et,  opposition faite à la note noire, le vermillon  des coquelicots.

     

     Vincent Van Gogh – Cyprès avec deux figures de femmes, juin 1889, Kröller-Müller Museum, Otterlo  


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  • Voici la première vraie critique de l'oeuvre de Vincent van Gogh, écrite du vivant de l'artiste, par Gabriel-Albert Aurier : « Les Isolés, Vincent van Gogh », Mercure de France, t. I, n° 1, janvier 1890, p. 24-29.

    "Les isolés, Vincent van Gogh" - G-Albert Aurier
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    LES ISOLÉS 

    VINCENT VAN GOGH


     Et voilà que, tout à coup, dès là rentrée dans l'ignoble tohubohu boueux de la rue sale et de la laide vie réelle, éparpillées, chantèrent, malgré moi, ces bribes de vers en ma mémoire :


       L'enivrante monotonie 
       Du métal, du marbre, et de l'eau.... 
       Et tout, même la couleur noire, 
       Semblait fourbi, clair, irisé ; 
       Le liquide enchâssait sa gloire 
       Dans le rayon cristallisé.... 
       Et des cataractes pesantes 
       Comme des rideaux de cristal 
       Se suspendaient, éblouissantes, 
       À des murailles de métal....


     Sous des ciels, tantôt taillés dans l'éblouissement des saphirs ou des turquoises, tantôt pétris de je ne sais quels soufres infernaux, chauds, délétères et aveuglants ; sous des ciels pareils à des coulées de métaux et de cristaux en fusion, où, parfois, s'étalent, irradiés, de torrides disques solaires ; sous l'incessant et formidable ruissellement de toutes les lumières possibles ; dans des atmosphères lourdes, flambantes, cuisantes, qui semblent s'exhaler de fantastiques fournaises où se volatiliseraient des ors et des diamants et des gemmes singulières — c'est l'étalement inquiétant, troubleur, d'une étrange nature, à la fois vraiment vraie et quasiment supranaturelle, d'une nature excessive où tout, êtres et choses, ombres et lumières, formes et couleurs, se cabre, se dresse en une volonté rageuse de hurler son essentielle et propre chanson, sur le timbre le plus intense, le plus farouchement suraigu ; ce sont des arbres, tordus ainsi que des géants en bataille, proclamant du geste de leurs noueux bras qui menacent et du tragique envolement de leurs vertes crinières, leur puissance indomptable, l'orgueil de leur musculature, leur sève chaude comme du sang, leur éternel défi à l'ouragan, à la foudre, à la nature méchante ; ce sont des cyprès dressant leurs cauchemardantes silhouettes de flammes, qui seraient noires ; des montagnes arquant des dos de mammouths ou de rhinocéros ; des vergers blancs et roses et blonds, comme d'idéaux rêves de vierges ; des maisons accroupies, se contorsionnant passionnément ainsi que des êtres qui jouissent, qui souffrent, qui pensent ; des pierres, des terrains, des broussailles, des gazons, des jardins, des rivières qu'on dirait sculptés en d'inconnus minéraux, polis, miroitants, irisés, féeriques ; ce sont de flamboyants paysages qui paraissent l'ébullition de multicolores émaux dans quelque diabolique creuset d'alchimiste, des frondaisons qu'on dirait de bronze antique, de cuivre neuf, de verre filé ; des parterres de fleurs qui sont moins des fleurs que de richissimes joailleries faites de rubis, d'agates, d'onyx, d'émeraudes, de corindons, de chrysobérils, d'améthistes et de calcédoines ; c'est l'universelle et folle et aveuglante coruscation des choses ; c'est la matière, c'est la nature tout entière tordue frénétiquement, paroxysée, montée aux combles de l'exacerbation ; c'est la forme devenant le cauchemar, la couleur devenant flammes, laves et pierreries, la lumière se faisant incendie, la vie, fièvre chaude.

    ***


     Telle, et non point exagérée, bien qu'on puisse penser, l'impression que laisse en la rétine le premier regarder des œuvres étranges, intensives et fiévreuses de Vincent Van Gogh, ce compatriote et non indigne descendant des Vieux maîtres de Hollande. 
     Oh ! combien loin nous sommes — n'est-ce pas ? — du beau grand art ancien, très sain et très pondéré, des Pays-Bas ! Combien loin des Gérard Dow, dés Albert Cuyp, des Terburg, des Metzu, des Peter de Hooghe, des Van der Meer, des Van der Heyden et de leurs toiles charmeuses, un peu bourgeoises, tant patiemment soignées ; tant flegmatiquement léchées, tant scrupuleusement minutieuses ! Combien loin des beaux paysages, si sobres, si pondérés, si enveloppés toujours de douces, et grises, et indécises vapeurs, des Van der Heyden, des Berghem, des Van Ostade, des Potter, des Van Goyen, des Ruysdaël, des Hobbema ! Combien loin de l'un peu froide élégance, des Wouwersmans, de l'éternelle chandelle de Schalken, de la timide myopie, des fins pinceaux et de la loupe du bon Pierre Slingelandt ! Combien loin des délicates couleurs toujours un peu nuageuses et brumeuses des Pays du Nord et des inlassables pignochements de ces bien portants artistes, de là-bas et d'autrefois, qui peignaient « dans leur poêle » l'esprit très calme, les pieds chauds et la panse pleine de bière, et combien loin de cet art très honnête, très consciencieux, très scrupuleux, très protestant, très républicain, très génialement banal de ces incomparables vieux maîtres qui avaient le seul tort - si ce fut un tort pour eux - d'être tous pères de famille et bourgmestres !... 
     Et pourtant, qu'on ne s'y trompe pas, Vincent Van Gogh n'est point tant en dehors de sa race. Il a subi les inéluctables lois ataviques. Il est bien et dûment Hollandais, de la sublime lignée de Franz Halz. 
     Et d'abord, en effet, comme tous ses illustres compatriotes, c'est un réaliste, un réaliste dans toute la force du terme. Ars est homoadditus naturæa dit le chancelier Bacon, et M. Émile Zola a défini le naturalisme « la nature vue à travers un tempérament ». Or, c'est cet homo additus c'est cet « à travers un tempérament », c'est ce moulage de l'objectif, toujours un, dans des subjectifs, toujours divers, qui compliquent 1a question, et suppriment la possibilité de tout irréfragable critérium des degrés de sincérité de l'artiste. Le critique en est donc fatalement réduit, pour cette détermination, à des inductions plus ou moins hypothétiques, mais toujours contestables. Néanmoins, j'estime que, dans le cas de Vincent Van Gogh, malgré la parfois déroutante étrangeté de ses œuvres, il est difficile, pour qui veut être impartial et pour qui sait regarder, de nier ou de contester la véracité naïve de son art, l'ingénuité de sa vision. Indépendamment, en effet, de cet indéfinissable parfum de bonne foi et de vraiment-vu qu'exhalent tous ses tableaux, le choix des sujets, le rapport constant des plus excessives notes, la conscience d'étude des caractères, la continuelle recherche du signe essentiel de chaque chose, mille significatifs détails nous affirment irrécusablement sa profonde et presqu'enfantine sincérité, son grand amour de la nature et du vrai - son vrai, à lui. 
     Il nous est donc permis, ceci admis, de légitimement induire des œuvres même de Vincent Van Gogh, à son tempérament d'homme, ou plutôt d'artiste — induction qu'il me serait possible, si je le voulais, de corroborer par des faits biographiques. Ce qui particularise son œuvre entière, c'est l'excès, l'excès en la force, l'excès en la nervosité, la violence en l'expression. Dans sa catégorique affirmation du caractère des choses, dans sa souvent téméraire simplification des formes, dans son insolence à fixer le soleil face à face, dans la fougue véhémente de son dessin et de sa couleur, jusque dans les moindres particularités de sa technique, se révèle un puissant, un mâle, un oseur, très souvent brutal et parfois ingénûment délicat. Et, de plus, cela se devine, aux outrances quasiment orgiaques de tout ce qu'il a peint, c'est un exalté, ennemi des sobriétés bourgeoises et des minuties, une sorte de géant ivre, plus apte à des remuements de montagnes qu'à manier des bibelots d'étagères, un cerveau en ébullition, déversant sa lave dans tous les ravins de l'art, irrésistiblement, un terrible et affolé génie, sublime souvent, grotesque quelquefois, toujours relevant presque de la pathologie. Enfin, et surtout, c'est un hyperesthésique, nettement symptômatisé, percevant avec des intensités anormales, peut-être même, douloureuses, les imperceptibles et secrets caractères des lignes et des formes, mais plus encore les couleurs, les lumières ; les nuances invisibles aux prunelles saines, les magiques irisations des ombres. Et voila pourquoi son réalisme, à lui, le névrôsé, et voilà pourquoi sa sincérité et sa vérité sont si différents du réalisme, de la sincérité et de la vérité de ces grands petits bourgeois de Hollande, si sains de corps, eux, si bien équilibrés d'âme, qui furent ses ancêtres et ses maîtres.

    ***


     Au reste ; ce respect et cet amour de la réalité des choses ne suffisent point, seuls, à expliquer et à caractériser l'art profond, complexe, très-à-part, de Vincent Van Gogh. Sans doute, comme tous les peintres de sa race, il est très conscient de la matière, de son importance et de sa beauté, mais aussi, le plus souvent, cette enchanteresse matière, il ne la considère que comme une sorte de merveilleux langage destiné à traduire l'Idée. C'est, presque toujours, un symboliste. Non point, je le sais, un symboliste à la manière des primitifs italiens, ces mystiques qui éprouvaient à peine le besoin de désimmatérialiser leurs rêves, mais un symboliste sentant la continuelle nécessité de revêtir ses idées de formes précises, pondérables, tangibles, d'enveloppes intensément charnelles et matérielles. Dans presque toutes ses toiles, sous cette enveloppe morphique, sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. Quant aux brillantes et éclatantes symphonies de couleurs et de lignes, quelle que soit leur importance pour le peintre, elles ne sont dans son travail que de simples moyens expressifs, que de simples procédés de symbolisation. Si l'on refusait, en effet, d'admettre sous cet art naturaliste l'existence de ces tendances idéalistes, une grande part de l'œuvre que nous étudions demeurerait fort incompréhensible. Comment expliquerait-on, par exemple, le Semeur, cet auguste et troublant semeur, ce rustre au front brutement génial, ressemblant parfois et lointainement à l'artiste lui-même, dont la silhouette, le geste et le travail ont toujours obsédé Vincent Van Gogh, et qu'il peignit et repeignit si souvent, tantôt sons des ciels rubescents, de couchant, tantôt dans la poudre d'or des midis embrasés, si l'on ne veut songer à cette idée fixe qui hante sa cervelle de l'actuelle nécessité de la venue d'un homme, d'un messie, semeur de vérité, qui régénèrerait la décrépitude de notre art et peut-être de notre imbécile et industrialiste société ? Et aussi cette obsédante passion pour le disque solaire, qu'il aime à faire rutiler dans l'embrasement de ses ciels et, en même temps, pour cet autre soleil, pour cet astre végétal, le somptueux tournesol, qu'il répète, sans se lasser, en monomane, comment l'expliquer si l'on refuse d'admettre sa persistante préoccupation de quelque vague et glorieuse allégorie héliomythique ?

    ***


     Vincent Van Gogh, en effet, n'est pas seulement un grand peintre, enthousiaste de son art, de sa palette et de la nature, c'est encore un rêveur, un croyant exalté, un dévoreur de belles utopies, vivant d'idées et de songes. 
     Longtemps, il s'est complu à imaginer une rénovation d'art, possible par un déplacement de civilisation : un art des régions tropicales ; les peuples réclamant impérieusement des œuvres correspondant aux nouveaux milieux habités ; les peintres se trouvant face à face avec une nature jusqu'alors inconnue, formidablement lumineuse, s'avouant enfin l'impuissance des vieux trucs d'école, et se mettant à chercher, naïvement, la candide traduction de toutes ces neuves sensations !.. N'eût-il pas été, en effet, lui, l'intense et fantastique coloriste broyeur d'ors et de pierreries, le très digne peintre, plutôt que les Guillaumet, que les fadasses Fromentin et que les boueux Gérôme, de ces pays des resplendissances, des fulgurants soleils et des couleurs qui aveuglent ?... 
     Puis, comme conséquence de cette conviction du besoin de tout recommencer en art, il eut et longtemps il caressa l'idée d'inventer une peinture très simple, populaire, quasiment enfantine, capable d'émouvoir les humbles qui ne raffinent point et d'être comprise par les plus naïfs des pauvres d'esprits. La Berceuse, cette gigantesque et géniale image d'Épinal, qu'il a répétée, avec de curieuses variantes, plusieurs fois, le portrait du flegmatique et indescriptiblement jubilant Employé des postes, le Pont-levis, si crûment lumineux et si exquisément banal, l'ingénue Fillette à la rosele Zouavela Provençale, indiquent, avec la plus grande netteté, cette tendance vers la simplification de l'art, qu'on retrouve d'ailleurs, plus ou moins, dans tout son œuvre et qui ne me paraît point si absurde ni si mésestimable en ces temps de complication à outrance, de myopie et de maladroite analyse.

    ***


     Toutes ces théories, toutes ces espérances de Vincent Van Gogh sont-elles pratiques ? Ne sont-elles point de vaines et belles chimères ? Qui le sait ? En tous cas, je n'ai point à l'examiner ici. Il me suffira, pour terminer d'à peu près caractériser ce curieux esprit si en dehors de tous banaux sentiers, de dire quelques mots sur sa technique. 
     Le côté externe et matériel de sa peinture est en absolue corrélation avec son tempérament d'artiste. Dans toutes ses œuvres, l'exécution est vigoureuse, exaltée, brutale, intensive. Son dessin, rageur, puissant, souvent maladroit et quelque peu lourd, exagère le caractère, simplifie, saute en maître, en vainqueur, par dessus le détail, atteint la magistrale synthèse, le grand style quelquefois, mais non point toujours. 
     Sa couleur, nous la connaissons déjà. Elle est invraisemblablement éblouissante. Il est, que je sache, le seul peintre qui perçoive le chromatisme des choses avec cette intensité, avec cette qualité métallique, gemmique. Ses recherches de colorations d'ombres, d'influences de tons sur tons, de pleins ensoleillements sont des plus curieuses. Il ne sait pas toujours éviter, pourtant, certaines crudités désagréables, certaines inharmonies, certaines dissonances... Quant à sa facture proprement dite, à ses immédiats procédés d'enluminer la toile, ils sont, ainsi que tout le reste de ce qui est lui, fougueux, très puissants et très nerveux. Sa brosse opère par énormes empâtements de tons très purs, par trainées incurvées, rompues de touches rectilignes..., par entassements, parfois maladroits, d'une très rutilante maçonnerie, et tout cela donne à certaines de ses toiles l'apparence solide d'éblouissantes murailles faites de cristaux et de soleil.

    ***


     Ce robuste et vrai artiste, très de race, aux mains brutales de géant, aux nervosités de femme hystérique, à l'âme d'illuminé, si original et si à-part au milieu de notre piteux art d'aujourd'hui, connaitra-t-il un jour — tout est possible — les joies de la réhabilitation, les cajoleries repenties de la vogue ? Peut-être. Mais quoi qu'il arrive, quand bien même la mode viendrait de payer ses toiles - ce qui est peu probable — au prix des petites infamies de M. Meissonnier, je ne pense pas que beaucoup de sincérité puisse jamais entrer en cette tardive admiration du gros public. Vincent Van Gogh est, à la fois, trop simple et trop subtil pour l'esprit-bourgeois contemporain. Il ne sera jamais pleinement compris que de ses frères, les artistes très artistes... et des heureux du petit peuple, du tout petit peuple, qui auront, par hasard, échappé aux bienfaisants enseignements de la Laïque !...


    G. Albert Aurier


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